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important qu’une mère vivante. » L’épigramme finale est jolie, mais porte à faux, car il est douteux que lorsque Sterne écrivit l’épisode de l’âne mort, sa mère vécût encore. Quant au fait de la souscription, il n’a rien de déshonorant pour Sterne, car il est antérieur à sa célébrité d’écrivain, et ce n’est qu’à la suite du succès obtenu par Tristram Shandy que sa vie cessa d’être aussi étroite qu’elle l’avait été jusqu’alors. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il n’ait pu à lui tout seul, chargé pour son propre compte des soins d’une famille, suffire à solder la dette dont parle Walpole. Ce qui serait tout à fait coupable, c’est qu’il n’eût pas fait tout ce qu’il pouvait en pareille circonstance, et cela est peu probable, car, quelque temps après, nous voyons la mère venir dans le Yorkshire pour consulter son fils, qui écrit cette phrase, extraite par M. Fitzgerald d’une des lettres par lui retrouvées : « J’espère que l’affaire de ma pauvre mère est cette fois finie à notre satisfaction, et, j’en ai la confiance, à la sienne propre. » Reste le fait de la longue séparation de la mère et du fils, mais l’adoption du jeune Laurence par les Sterne suffit pour l’expliquer, et l’on n’a qu’à regarder ce qui se passe dans les familles bourgeoises en pareil cas pour tout comprendre. Il est évident que la veuve de l’enseigne Roger ne fut jamais qu’une étrangère pour les Sterne. Son fils faisait partie de leur famille, non pas elle ; en se chargeant de son éducation et de sa carrière, ils le séparaient d’elle et disaient ostensiblement : L’enfant est à nous, non à vous. Ainsi qu’il arrive en de telles circonstances, la pauvre veuve rendit, comme un dépôt qui ne lui appartenait pas, l’enfant à la famille de son père, et il est même permis de croire qu’elle le fit avec joie, heureuse dans son malheur de cette séparation qui préservait son fils de l’indigence ; puis elle s’éloigna de cette famille, qui l’aurait toujours vue avec froideur, et elle se retira en Irlande, là où elle avait encore conservé quelques-uns des siens. L’orgueil des Sterne d’une part, le bon cœur et le bon sens de la mère de l’autre, opérèrent sans doute cette séparation, dans laquelle Laurence ne fut pour rien à l’origine. L’éloignement et le temps firent le reste ! Telle est probablement la vérité sur cette disparition de mistress Sterne, et M. Fitzgerald, dans son ingénieux plaidoyer en faveur de Laurence, n’a pas assez aperçu que la justification de son auteur favori est dans cette adoption qui ne laissait libres de suivre leur cours normal ni les sentimens de la mère, ni les sentimens du fils.

Sterne se trouvait tout naturellement désigné pour l’église ; sa pauvreté ne lui laissait guère le choix d’une autre carrière, et c’était en outre dans l’église qu’il avait ses appuis les plus solides. En conséquence, à sa sortie de l’université, il fut ordonné prêtre (août 1738), et aussitôt après, par les soins de son oncle l’âpre ar-