de son fils. Il était, ainsi que nous l’avons dit, d’humeur douce et inoffensive ; toutefois il était soldat, et il avait en conséquence ses susceptibilités et ses éclats de colère. Pendant le siège de Gibraltar, en 1727, il se prend un jour de querelle avec un certain capitaine Philips à propos d’une oie. Cette oie est un des beaux exemples qu’on puisse citer des particularités grotesques qui ont été l’origine première d’un nombre infini de disputes. De combien de duels, et des plus acharnés, s’il vous plaît, cette oie, sous une forme ou sous une autre, n’a-t-elle pas été le prétexte ! On ne sait pas au juste comment ce fatal volatile détermina le duel, qui, s’il en faut croire la légende, fut excentrique jusqu’au bout. La rencontre des deux adversaires eut lieu, dit-on, dans une chambre, et le capitaine Philips poussa le lieutenant Sterne avec tant de vigueur que la pointe de son épée, dont il le perça de part en part, vint s’enfoncer dans le mur. Ainsi fixé à la manière des papillons dans un carton d’entomologiste, le lieutenant Sterne conserva assez de force et de présence d’esprit pour prier poliment son adversaire d’essuyer soigneusement le plâtre qui s’était attaché à l’extrémité de son épée avant de la lui retirer du corps. Le lieutenant survécut cependant à cette perforation, mais avec une constitution altérée, et ce ne fut qu’en 1731 qu’il rendit le dernier soupir à Port-Antonio, dans la Jamaïque, où son régiment fut envoyé après le siège de Gibraltar.
Pendant ce temps, le petit Laurence Sterne avait grandi, sans autre aventure qu’un accident qui faillit priver le XVIIIe siècle d’une de ses plus vives figures. Pendant que son père tenait garnison à Wicklow, en Irlande, il visitait fréquemment le presbytère d’un certain M. Fetherston, parent de sa mère et vicaire d’Anamoë. Un jour l’enfant, jouant près d’un moulin, tomba dans le canal au moment même où la roue était en mouvement, laquelle roue, au lieu de l’écraser ou de l’envoyer faire une promenade dans les airs, se contenta de le pousser affectueusement par-dessus l’écluse. Grâce à ce salut miraculeux, M. Laurence fut pendant quelques jours un personnage, et tous les paysans des environs vinrent voir par curiosité le bambin qu’avait épargné ce moulin, qu’on montre encore, paraît-il, à Anamoë.
Avant de partir pour le siège de Gibraltar, en 1727, son père l’avait placé à l’école d’Halifax, dans le Yorkshire, école dont son oncle Richard Sterne était un des gouverneurs. Ce qu’était à cette époque le jeune écolier, nous pouvons nous le figurer aisément par les portraits de l’homme fait qui nous restent de lui et qui nous représentent une physionomie si conforme au caractère de son génie, car les traits de Sterne changèrent peu, et il semble avoir conservé toute sa vie le visage de son enfance. Cette physionomie est