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la réédification de la cathédrale de Saint-Paul, travailler à la révision du Common prayer book, et on l’a soupçonné d’être l’auteur anonyme et encore inconnu de ce livre célèbre de morale religieuse qui porte pour titre le Devoir complet de l’Homme (the whole Duty of Man). Cet archevêque, qui fut béni d’une nombreuse postérité, — il eut treize enfans, dont cinq seulement survécurent ou sont connus, — est l’aïeul du lieutenant Roger Sterne, prototype du fameux oncle Toby et père de Tristram-Laurence-Yorick, le voyageur sentimental, regardé par ses compatriotes comme le digne successeur de Swift, en scandale et en talent, et baptisé par les Français du XVIIIe siècle du nom de Rabelais de l’Angleterre.

Afin de ne pas fatiguer le lecteur de détails pour lesquels sa mémoire n’aurait pas de place, je me bornerai à ce seul nom de l’archevêque Sterne, en rappelant toutefois qu’une bonne moitié au moins du Tristram Shandy ne peut se comprendre qu’à la condition d’être considérée comme une chronique domestique d’une ancienne famille de bourgeoisie anglaise mêlée depuis plusieurs générations aux querelles politiques du pays, et ayant assez vécu pour connaître plusieurs fois les vicissitudes de la fortune. Vieilles anecdotes de famille transmises de père en fils, reliques touchantes et comiques, vieilles recettes de remèdes conservées précieusement sur des chiffons de papier jaunis par le temps, opinions biscornues et originales fondées sur quelque aventure immémoriale ou quelque lointaine expérience, toutes ces excentricités remplissent le Tristram Shandy et font un des charmes principaux du livre. Il y a là des ustensiles de ménage qui sont centenaires, des plaisanteries qui sont octogénaires et des douleurs qui ont plus que l’âge déjà respectable de M. Shandy et de l’oncle Toby. Le lillibullero que sifflote entre ses dents le vieux vétéran des guerres de Marlborough, c’est le même chant satirique que Thomas, comte de Wharton, fit courir contre Tyrconnel, nommé lord-lieutenant d’Irlande. Cette opinion prédestinatienne : « chaque balle a son billet, » que le caporal Trim rappelait à l’aurore du règne de George III, remonte jusqu’à Guillaume d’Orange, à qui elle appartient. Ces bottes à genouillères dans lesquelles le même caporal Trim taille innocemment deux simulacres de canons pour le simulacre de forteresse de l’oncle Toby ont une histoire, et une longue histoire. « Par le ciel ! s’écria mon père en se levant de sa chaise et en jurant, il n’y avait pas d’objet en ma possession auquel j’attachasse un aussi grand prix que ces bottes à genouillères. C’étaient les bottes de notre arrière-grand-père, frère Toby ! elles étaient héréditaires. — En ce cas, répondit mon oncle Toby, je crains fort que Trim n’ait coupé court à toute transmission ultérieure. — Je