Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/928

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est certain que l’esprit de l’Évangile est infiniment plus original que le dogme chrétien, chose ondoyante et bien moins une qu’on ne le croit souvent. On ne peut s’empêcher de sourire quand, après avoir lu de longs chapitres destinés à écraser une foule d’hérésies en montrant que chacune d’elles n’est que l’écho d’une philosophie non chrétienne, on arrive à cette profession de foi qu’il faut adopter sous peine d’enfer, et qui elle-même est toute saturée d’idées, d’expressions, de points de vue fournis uniquement par la philosophie. Il est évident qu’une telle profession de foi n’a pu venir qu’après tout le travail du platonisme alexandrin et tout ce que celui-ci suppose. Je ne parle pas seulement de cette physique particulière, fille des rêveries antiques, d’après laquelle le monde serait formé tout entier des quatre substances simples, le feu et l’esprit, l’eau et la terre. Ceci pourrait disparaître sans dommage pour la théologie personnelle d’Hippolyte ; mais le mot et l’idée du Verbe, ce Verbe d’abord intérieur à Dieu et impersonnel, puis extérieur et personnel, ce Verbe qui contient les idées générales du monde et qui le façonne d’après elles, qui éclaire, moralise les hommes et les fait participer à la vie divine,… est-ce donc que tout cela n’a pas été enseigné avant l’Évangile ? Tout cela ne porte-t-il pas au front le cachet bien accusé d’un système, d’une école, et les vignerons de Capernaüm, les bateliers de Bethsaïda eussent-ils compris un mot à pareil langage ? O saint Hippolyte, que vous êtes platonicien ! Et comme vous nous avez bien montré, sans vous en douter, vous si désireux de séparer la doctrine révélée des pauvres tâtonnemens de la sagesse humaine, qu’en définitive le dogme et la dogmatique ne sont jamais, ne peuvent jamais être autre chose qu’une application plus ou moins heureuse de la pensée philosophique aux faits constitutifs de l’Évangile et de la vie chrétienne !

M. de Bunsen a trop facilement cru que le livre d’Hippolyte ferait des ravages, soit dans les consciences catholiques, soit parmi les adhérens de l’école de Tubingue. En fait, ce livre n’a, que je sache, ni converti ni perverti personne ; mais il est une tendance, une prétention, une œuvre de prédilection de notre siècle à laquelle il a donné raison de la manière la plus éclatante. En nous montrant une fois de plus les fluctuations et les variations du dogme au sein de l’église primitive, en nous les décrivant avec l’autorité du témoin oculaire, Hippolyte est venu consacrer, pour tout esprit impartial, le bon droit de la critique moderne, et quand il ne résulterait que cela de la découverte de M. Miller, ce serait déjà bien assez pour s’en applaudir.


ALBERT REVILLE.