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cilier la faveur populaire. Pourtant ses vues dogmatiques durent gagner du terrain ; mais sa sévérité morale dut toujours éloigner les gens. Presbytre il avait vécu, presbytre il mourut dans cette île de Sardaigne, au climat meurtrier, où il fut déporté à un âge déjà avancé. Cela n’empêcha pas toutefois le peuple chrétien de Rome de garder pieusement la mémoire de cette figure austère qui a quelque chose d’un théologien de notre Port-Royal. Le peuple plus d’une fois a donné place dans son panthéon à ceux dont il ne voulait pas, de leur vivant, à cause de leur rigidité, et de même que les deux sœurs montanistes Perpétue et Félicité restèrent dans la mémoire des chrétiens d’Afrique, malgré leur hérésie, entourées d’une auréole de perfection qui en fit des saintes universellement reconnues, de même Hippolyte, malgré sa violente opposition à l’épiscopat de son temps, devint l’un des saints les plus honorés du calendrier romain.


III

Il est bien établi maintenant que les trois premiers siècles de l’église sont loin d’avoir été une période de pureté religieuse et morale immaculée. Il en est de cet âge d’or comme de tous les autres, c’est une illusion de l’âge mûr ayant oublié l’enfance. Le fait est qu’alors comme dans tous les temps les principes chrétiens durent plus à leur excellence interne qu’aux vertus de leurs représentans attitrés, Il se dégage de tous ces personnages qu’Hippolyte met en scène une atmosphère fort peu édifiante. Sans parler de la conduite équivoque de Zéphyrin et de Calliste, ce Carpophore qui se livre à des opérations de banque par l’intermédiaire de son esclave sans vouloir engager sa responsabilité, cette Marcia, favorite de Commode, qu’elle contribue à faire assassiner pour prévenir, il est vrai, son propre supplice, ces mœurs dissolues qui cherchent déjà des accommodemens avec le ciel, ces intrigues dont l’épiscopat est le but, tout cela révèle une situation morale qu’on ne saurait trouver bien réjouissante. Le malicieux raisonnement du Juif de Boccace, devenu chrétien à Rome à cause des abus qui tueraient le christianisme s’il n’était divin, avait son côté vrai bien avant le XIVe siècle. Du moment que l’église devenait grande puissance, il n’en pouvait guère être autrement. Il ne faut pas croire que le désintéressement seul inspirait dans un tel temps le désir de représenter une église qu’aucune loi ne protégeait encore, et qui souvent était la proie de l’intolérance païenne. D’abord la persécution fut loin d’être continue. Il y eut des périodes de calme profond à peine interrompu par quelques actes isolés de violence ou d’arbitraire ; mais, sous le ré-