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de la Divinité. C’est dans le quatrième évangile que s’accomplit, pendant la première moitié du IIe siècle, cette évolution remarquable de la théologie chrétienne qui devait avoir de si graves conséquences. Ce furent les noces du platonisme et de l’église, et, si l’on ne peut dire que cette union ait été fort paisible, toujours est-il qu’elle a duré bien longtemps, qu’elle a été très féconde, et que le divorce n’est pas encore sorti des disputes fréquentes dont elle est la cause. Une étroite parenté rattacha aussi la théorie du Verbe au sentiment grandissant de la catholicité et au désir de lui donner une forme visible par la constitution d’une église catholique, une par la doctrine, la discipline et le culte. Au Verbe, seul parfait révélateur de Dieu, dont seul il connaît de près les secrets, correspond l’église catholique, seule dépositaire de son éternelle et immuable révélation. Ne l’oublions jamais pourtant, si nous voulons comprendre cette genèse historique de l’église et de l’orthodoxie dans les trois premiers siècles, ni les choses ni les hommes ne marchent comme un régiment. Le dogme est encore trop flottant, les autorités chargées de le maintenir ou de le décréter trop peu reconnues. A côté des idées et des institutions destinées à triompher plus tard, il faut s’attendre à ce que longtemps encore des points de vue très opposés, des manières fort peu orthodoxes d’entendre la vérité chrétienne s’affirment, se prolongent dans l’intérieur même de l’église, sans toujours qu’on ait une conscience claire de cet antagonisme et sans qu’il y ait rupture ecclésiastique, officielle, entre les partis en lutte.

Ainsi, tout le long du IIe et du IIIe siècle, l’unitarisme, c’est-à-dire l’opinion qui refuse de faire la moindre brèche à l’unité divine en stipulant l’existence d’un être distinct de Dieu et pourtant coessentiel avec Dieu, — l’unitarisme, dis-je, s’affiche dans l’église et même résiste parfois avec succès aux progrès du dogme contraire. Si d’une part, à mesure que l’église se recrutait parmi les païens, on voyait augmenter le nombre des chrétiens moins susceptibles que les Juifs à l’endroit des théories compromettantes pour le monothéisme rigide, de l’autre le principe de l’unité de Dieu était si souvent le motif déterminant de l’entrée dans l’église que beaucoup d’anciens polythéistes y regardaient à deux fois avant d’accepter un dogme qui ramenait en fait une pluralité de personnes divines, — d’autant plus que, si l’orthodoxie des futurs grands conciles avait trouvé sa pierre de fondation : Jésus est le Verbe personnel de Dieu, on était encore loin du temps où l’église affirmerait en outre que le Fils est égal au Père, et que le Fils et le Père, distincts quant aux personnes, ne sont pourtant qu’un seul Dieu. A la fin du IIe siècle, Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie