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l’historien Eusèbe[1] nous a conservé une liste assez nombreuse, qu’il dit lui-même incomplète. Ce fut en faveur d’Hippolyte que MM. Jacobi, Duncker, de Bunsen, se prononcèrent, et ce dernier avec une verve, un éclat qui, joint à la haute position qu’il occupait alors, à Londres, prit les proportions d’un événement. Ce fut même quelque chose de très piquant.

M. de Bunsen, une des figures les plus originales et les plus respectables de notre siècle, était alors ambassadeur de Prusse en Angleterre. Homme d’état éminent, mais de plus érudit de premier ordre, il utilisait les loisirs que lui laissait sa mission pour faire l’éducation théologique de l’Angleterre. Auparavant il avait passé de longues années à Rome, d’abord en compagnie de l’illustre Niebuhr, puis comme représentant de son pays près du saint-siège. Là, il avait pu donner libre cours à sa passion pour les études d’archéologie religieuse ; il avait en particulier fait de véritables fouilles sur le terrain des anciennes liturgies, et même, obéissant à un penchant très prononcé pour le mysticisme, il avait fait usage de ses découvertes pour organiser un service liturgique assez compliqué dans la chapelle protestante qu’il avait ouverte à l’hôtel de l’ambassade prussienne. Ce goût des cérémonies ecclésiastiques et sa préférence marquée pour le système épiscopal l’avaient fait très bien accueillir à Londres par les partisans de la haute église. Les infortunés étaient bien loin de se douter que cet admirateur de l’épiscopat, cet ami intime du pieux roi qui venait de fonder l’évêché anglo-prussien de Jérusalem, ce parfait gentleman qui alliait la bonhomie, la rondeur allemande à la plus exquise amabilité de l’homme de cour, introduisait tout doucement le venin de la critique dans les veines vénérables de l’église établie. Ce n’est pourtant pas qu’il y mît la moindre malice. M. de Bunsen appartenait à cette génération allemande sortie des fortes commotions du commencement de ce siècle, qui eut l’art d’introduire le rationalisme à large dose dans les formules et les institutions religieuses en apparence les plus rebelles à une pareille opération. Plus il avança vers le terme de sa belle vie, plus il rompit avec ses velléités romantiques. Les excès de la réaction qui suivit les terreurs de 1848 firent même de lui un libéral déterminé : ses Signes des Temps furent le premier grand coup porté au système politico-religieux qui célébrait son triomphe dans la conclusion du concordat autrichien. Si j’ose ajouter un détail tout personnel, je dirai que, parmi mes papiers les plus précieux, je compte une lettre écrite peu de temps avant sa mort par le noble vieillard, lettre où il m’exprimait ses chaudes

  1. Hist. eccl, VI, 22.