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l’autre contre ceux de la civilisation ; mais, tandis que l’aspect désolé du Magne, l’aridité de son sol, l’âpreté de ses paysages, expliquent bien les farouches instincts et les sauvages coutumes de ses tribus guerrières, on est au contraire surpris que la merveilleuse fécondité de l’Acarnanie n’ait point développé chez ses habitans l’amour du travail et le goût du bien-être. La nature en effet a doté l’Acarnanie de tout ce qui peut rendre une province florissante ; il a fallu des siècles d’oppression et de décadence, l’épuisement engendré par une résistance désespérée, pour plonger l’homme dans la barbarie au milieu même des élémens de richesse et de prospérité que cette contrée renferme. Cette impression, que nous avons gardée de notre excursion dans ce pays, se trouve confirmée par le témoignage d’un ancien membre de l’école française d’Athènes, M. L. Heuzey, qui a fait de cette partie de la Grèce une étude spéciale et approfondie. « Il ne faut pas, dit-il, juger de la fertilité de l’Acarnanie par l’état peu avancé où s’y trouve aujourd’hui l’agriculture ; les historiens nous la représentent comme un pays autrefois riche et cultivé. La puissante végétation dont s’est revêtue cette terre laissée à elle-même témoigne de sa vertu… La partie la plus abandonnée du royaume deviendra peut-être une de ses plus riches provinces, dès que l’homme s’y trouvera en force pour réduire une nature sauvage[1]. »

L’Acarnanie se divise en deux parties bien distinctes, le Valtos au nord, le Xéroméros au raidi. Le Valtos, qui touche à l’Épire, correspond à l’ancienne Amphilochie que Thucydide désignait comme une contrée dangereuse, propre aux surprises à main armée, avec des chemins embarrassés de bois et de ravins sans issue. On ne peut guère en effet se figurer un pays plus difficile à parcourir, plus favorable aux coups de main, aux embuscades et à la guerre de partisans. Les montagnes, déchirées par un dédale de torrens et de crevasses profondes, sont couvertes les unes de forêts presque impénétrables, les autres de gigantesques fougères ; il serait imprudent de s’y aventurer sans le secours d’un guide expérimenté, car cette végétation luxuriante cache à chaque pas des précipices béans ou des rampes inaccessibles. Aussi l’Acarnanie a-t-elle opposé aux Turcs une résistance énergique, et fourni à la Grèce quelques-uns de ses plus célèbres et de ses plus belliqueux armatoles. Aujourd’hui les klephtes, tels que les Birbos, les Dracos, le Scaralambas, viennent abriter leur tête mise à prix dans ce pays, dont les difficultés les dérobent à toute poursuite, et d’où ils peuvent, sans être inquiétés, passer en Turquie pour y trouver une sécurité

  1. Le Mont-Olympe et l’Acarnanie, par L. Heuzey, ancien membre de l’école française d’Athènes ; Paris, 1860, p. 234.