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ceux de ses contre-forts, dépassent les cimes les plus élevées des Alpes bernoises : treize d’entre eux sont plus hauts que la Jungfrau. Tandis que le Mont-Blanc surgit isolé, humiliant ses voisins, qui s’abaissent devant lui, le Mont-Rose est semblable à un souverain trônant au milieu de ses pairs, tous revêtus de leurs blancs manteaux d’hermine éternelle. Comme le haut de ce massif plonge dans cette froide zone de l’atmosphère où les neiges ne fondent plus, il existe là tout un monde de glaciers superposés et reliés les uns aux autres. Les frères Schlagintweit en ont compté cent trente-cinq dans les Alpes pennines, dont quinze primaires et cent vingt secondaires. Ce sont d’immenses espaces de glaces et de névés dont rien n’approche en Europe ni comme étendue, ni comme altitude moyenne.

C’est précisément parce que le Mont-Rose est entouré de toute une cour de gigantesques satellites qu’il a si longtemps échappé aux regards. Du côté de la Suisse, il est invisible. Au passage de la Gemmi, on montrait au voyageur de grandes masses neigeuses qu’on disait être le Mont-Rose ; on sait maintenant que ce sont les pics du Weisshorn, le sommet de l’un des contre-forts septentrionaux, qui du reste ne le cède que de 300 pieds à la cime principale. Ebel, toujours si exact, affirme à tort qu’on aperçoit le Mont-Rose du cimetière de Vispach, à l’entrée de la vallée de Zermatt : ce qu’on voit de là, ce sont les crêtes blanches du Balferin, la dernière sommité du contre-fort de Saas, du côté du nord. Ce n’est que sur le revers italien, des bords du Lac-Majeur, du haut du Monterone, au-dessus de Baveno, qu’on peut admirer de loin les belles masses de la montagne centrale, revêtues des teintes rosées du soleil couchant qui lui ont fait donner probablement le nom qu’elle porte[1]. Si l’on veut cependant l’examiner de plus près, il faut s’enfoncer dans l’une de ces gorges étroites qui, partant de la vallée du Rhône ou de celle de la Doire, vous conduisent jusqu’au pied même du souverain des Alpes pennines. Lorsqu’on arrive du nord, c’est à Viège, ou Vispach en allemand, qu’il faut quitter la grande route du Simplon. Viège, comme Brieg, sa voisine, a déjà un certain caractère italien ; on devine qu’on est sur le chemin de l’Italie. De grandes maisons blanches, aux fenêtres étroites et aux galeries voûtées, un vieux château assis à côté de l’église, sur un point élevé qui commande tout le bourg, lui donnent un air d’importance et de dignité. Vispa nobilis, disent les anciennes chroniques, et en effet un grand nombre d’anciennes familles du Haut-Valais habi

  1. On a fait dériver le nom, du Mont-Rose du mot celtique ros, signifiant promontoire, et aussi de la configuration de ses cimes, rangées en forme de rose ; mais ces étymologies paraissent peu fondées.