Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture est d’attendre les occasions, et d’arracher, quand ils le peuvent, par de promptes et décisives démonstrations de force, les réparations qui leur sont dues. Aucun principe de devoir et d’honneur ne les oblige à pousser la protection de leurs sujets à l’étranger jusqu’à renverser les gouvernemens dont ils ont à se plaindre et à les remplacer par des régimes nouveaux. La France a pu croire qu’elle donnait satisfaction à un intérêt élevé en renversant la république au Mexique et en y créant une monarchie ; mais en agissant ainsi elle n’obéissait ni à un devoir ni à une obligation d’honneur. Cette entreprise, ne pouvant s’élever au-dessus de la sphère des intérêts, devait et doit être soumise aux conditions qui régissent toutes les affaires d’intérêt. Il fallait et il faut mettre en balance l’intérêt qu’a la France à créer au Mexique un gouvernement civilisé et responsable avec les moyens raisonnables et pratiques de succès que comporte une telle entreprise, avec les charges que l’emploi de ces moyens peut nous imposer, avec les avantages ou les inconvéniens directs ou indirects attachés à l’accomplissement de notre dessein. C’est cette comparaison des difficultés et des moyens d’action, c’est cette exacte balance des intérêts qu’il fallait avoir présentes à l’esprit avant d’entreprendre l’affaire du Mexique, et que nous ne devons pas perdre de vue pendant que nous la poursuivons. Or aujourd’hui le grand fait qui vient de s’accomplir en Amérique, le triomphe de l’Union et la fin de la guerre civile, mettent en évidence une des plus grandes difficultés et un des plus vastes intérêts que l’on doive prendre en considération dans la question du Mexique. Nous ne voulons rien exagérer, mais il est nécessaire de se rendre un compte précis de la difficulté et de l’intérêt que la situation présente des États-Unis apporte dans la question mexicaine. Personne ne nous contredira si nous disons que jamais l’idée de fonder un empire au Mexique ne fût venue à l’esprit du gouvernement français avant la crise qui a éclaté il y a quatre ans au sein de l’Union américaine ; on peut avancer avec une égale assurance que, si l’expédition du Mexique était encore à faire, on aurait garde de l’entreprendre aujourd’hui après le rétablissement de l’intégrité de l’Union et les merveilleuses preuves de vitalité et de puissance que vient de donner la république américaine. Les États-Unis ayant leur sécurité intérieure et la liberté de leurs mouvemens au dehors, si la France avait eu le dessein de faire quelque chose au Mexique, à coup sûr elle n’y eût pas fait un empire, et en tout cas elle eût compris que la première puissance avec laquelle elle eût dû se concerter était non l’Espagne ni même l’Angleterre, mais les États-Unis. Nous n’avons pas en Amérique un seul intérêt qui puisse être mis en balance avec l’alliance de l’Union américaine, pas un intérêt qui ne doive céder a l’intérêt supérieur qui nous prescrit de ne point susciter gratuitement et de gaîté de cœur des causes de mésintelligence entre nous et notre allié le plus naturel, le peuple américain. Napoléon, quand il céda la Louisiane aux États-Unis, eut l’intuition supérieure