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brun velouté en harmonie avec le cuivre rouge de leur teint. Leur sang abyssin, légèrement mêlé d’arabe, se reconnaît à leurs fines extrémités et à leurs cheveux d’un noir brillant dont les tresses flottent parfois jusque sur leur visage et leur donnent un air ébouriffé qui ne leur messied pas trop. Lestes, trottant menu, éveillées. sans effronterie, elles n’ont aucune ressemblance avec les fillettes indolentes de Massouah et sont les vraies grisettes du pays.

Le 19 décembre 1863, nous quittâmes Monkoullo, et moins de trois heures de marche nous menèrent le soir du même jour au torrent de Desset à travers un pays ondulé, que dominent beaucoup de petits plateaux d’un niveau parfait, imitant assez bien par leurs coupures à pans quadrangulaires et par leur profil nos ouvrages de fortification moderne. La route côtoie le petit vallon de l’Oued-Debo, fertilisé par un torrent qui chaque automne y apporte une part d’alluvion entraînée du flanc des montagnes de Bedou, et où les Bédouins sèment alors leur doura. Le torrent du Desset et la rivière de l’Oued-Debo donnent une fécondité relative à une petite plaine basse, boisée, où s’est fondé dans des circonstances qui méritent d’être connues le village d’Embirami. Il y a une trentaine d’années, quand la domination égyptienne se consolida sérieusement dans la Haute-Nubie, les préfets égyptiens de Kassala voulurent soumettre à l’impôt toutes les tribus de cette région, notamment une petite tribu de fogara (de marabouts, dirait-on en Algérie) appelée Ad Cheikh, et habituellement campée dans le lit du Barka, près de Bicha. Le chef de ces fogara, Cheikh-Mohammed, était précisément un homme très vénéré dans toute la province, un de ces apôtres du Koran, comme l’islamisme, fort dégénéré, n’en compte plus guère dans l’Afrique orientale. Dévoré d’un zèle infatigable, il parcourait sans cesse toute cette lisière, où le christianisme, récemment encore en vigueur, a laissé les ruines de ses couvens et de ses basiliques. Indigné de la prétention des nouveaux maîtres du Soudan, il émigra avec ses disciples les plus fervens, vint camper dans la banlieue de Massouah, où il bâtit Embirami, et adressa de là à Constantinople des réclamations énergiques qui eurent un plein succès. Le sultan prescrivit à son vassal de respecter le privilège d’une tribu sacrée, et ce privilège, aujourd’hui encore, subsiste pour la tribu mère et pour ses membres émigrés. Le vieux cheikh, presque adoré à Massouah, ne tint plus à retourner chez ses ouailles du Barka : il les fit gouverner par son fils aîné et resta à Embirami, où vont le visiter et lui demander sa bénédiction tous les voyageurs musulmans de Massouah et de cent lieues à l’intérieur.

Desset, dans la langue du pays, veut dire île. Cette oasis est en effet une longue île formée par deux bras du torrent de même nom, et couverte d’une épaisse forêt de mimosas et de tamaris.