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mais que cet ordre dans ses moindres détails soit fatalement déterminé, que rien ne le puisse altérer, qu’il doive à tout jamais rester toujours le même, vous ne le savez pas plus que nous, ou plutôt vous êtes, comme nous, le vivant témoignage qu’un inflexible mécanisme ne règle pas tout ici-bas.

Que faites-vous en effet, vous, faible atome, imperceptible créature, pendant que vous défendez au maître souverain, au grand ordonnateur des choses, le moindre écart, une infraction quelconque aux lois qu’il a créées ? Ne les violez-vous pas, ces lois, dans la mesure de votre puissance, chaque jour, à toute heure et de toute façon ? Cet arbre, cette plante, que l’ordre naturel fait fleurir en été, vous les couvrez de fleurs en hiver ; vous changez la saveur, la forme de ces fruits, la couleur de ces fleurs ; vous contournez ces branches, ces rameaux, vous les faites pousser, grandir contre nature. Et ce n’est pas seulement sur la végétation, sur les objets inanimés que vous exercez vos caprices ; combien d’êtres vivans sont par vous transformés, détournés de leur voie régulière ! combien subissent par votre fantaisie les missions les plus inattendues, les plus étranges destinées ! Ce ne sont là sans doute que de petits miracles ; mais, proportion gardée, les plus grands se font-ils autrement ? Les uns comme les autres sont des infractions volontaires à l’ordre apparent de la nature : l’ordre réel en est-il altéré ? L’enchaînement des effets et des causes est-il interrompu parce que nos jardiniers font certaines boutures, inventent et composent d’inexplicables variétés ? Non ; pourquoi dès lors ne pas admettre que dans un étage au-dessus, dans un ordre plus général, d’autres genres de perturbations, des guérisons subites, des transformations incroyables, des actes de volonté ou d’intuition sans exemple, se puissent accomplir sans que l’ordre universel soit menacé ni compromis ? Tout dépend du degré de puissance que vous attribuez à l’auteur de ces actes, à celui qui, tenant toute chose en sa main, peut aussi bien produire l’exception que la règle.

Pour nier absolument la possibilité des miracles contre le sentiment du genre humain, qui de tout temps, par instinct, par nature, s’est obstiné à y ajouter foi, vous n’avez qu’un moyen : supprimer Dieu, professer l’athéisme, soit l’athéisme pur et simple dans sa grossière crudité, soit cet autre athéisme plus délicat, mieux déguisé, plus en vogue aujourd’hui, qui fait à Dieu l’honneur de prononcer son nom sans lui donner d’autre besogne que la garde servile et le spectacle inerte des mondes qu’il a créés, mais qu’il ne gouverne pas. Si c’est ainsi qu’il faut comprendre Dieu, si le fatalisme est la loi de ce monde, ne parlons plus miracles, ne parlons plus surnaturel, tout est jugé ; qu’il n’en soit pas question. Si au contraire, descendant en vous-même, vous vous sentez intelligent