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M. Guizot, en véritable ami, lui rend franchement ce service. Personne avant lui peut-être n’avait tracé d’une main aussi sûre la délimitation de la science philosophique ; jamais, tout en revendiquant pour elle de plus sincères respects et en soutenant mieux son autorité légitime, on n’avait plus nettement marqué le point précis qu’elle ne saurait franchir.

Plus d’un spiritualiste en gémira peut-être. — Vous nous découragez, diront-ils. Si vous voulez que nous luttions, que nous défendions contre tant d’adversaires les invisibles vérités, ne nous enlevez pas nos armes ; ne dites pas d’avance jusqu’où nous pouvons aller ; laissez-nous l’espérance qu’un jour, sous nos efforts, cette porte de l’infini, où nous frappons depuis tant de siècles, finira par s’ouvrir.

— Si depuis tant de siècles, pourrait-il leur répondre, vous aviez fait seulement quelques progrès, on en pourrait espérer d’autres ; on n’aurait pas droit de vous dire, sur le ton prophétique : « Vous irez jusque-là, pas plus loin. » Mais les progrès de la métaphysique, où sont-ils ? Qui les a vus ? Progrès de forme, c’est possible ; plus de clarté peut-être, plus de méthode. Les grands génies des temps modernes ont en ce sens ajouté quelque chose au fonds que leur avaient légué les grands génies du monde ancien : ce fonds n’en est pas moins resté toujours le même. Qui oserait aujourd’hui se vanter d’en savoir plus sur l’infini que Socrate, Aristote et Platon ? Autant les sciences naturelles semblent nées pour grandir, faibles d’abord, et peu à peu, de conquête en conquête, se créant un empire toujours plus étendu et plus incontesté, autant les sciences métaphysiques, grandes à leur naissance et bientôt stationnaires, sont évidemment faites pour ne jamais atteindre, quoique toujours actives, le but qu’elles poursuivront toujours. Si quelque chose achève de mettre en évidence cette immobilité nécessaire de la métaphysique, c’est la constante réapparition des quatre ou cinq grands systèmes qui résument à eux seuls tous les milliers d’autres systèmes qu’a jamais inventés, qu’inventera jamais l’esprit humain. Dès les premiers débuts de la philosophie, vous les voyez éclore ; à chaque grande époque, vous les voyez renaître, toujours les mêmes, sous d’apparentes diversités, toujours incomplets et partiels, toujours à moitié vrais, à moitié faux, comme le premier jour. Que veut dire cet éternel retour des mêmes tentatives, aboutissant toujours au même résultat, sinon l’éternelle impuissance de faire seulement un pas de plus ? Évidemment l’homme a reçu d’en haut, une fois pour toutes et dès les premiers temps, le peu qu’il sait de métaphysique, et le travail humain, le travail scientifique, n’y peut rien ajouter.

Si donc vous comptiez sur la science pour percer le mystère des