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moignages par trop universels, l’existence persévérante des problèmes eux-mêmes. On en déguisait la portée sans aspirer à les détruire. Maintenant on fait un pas de plus. Pour avoir bon marché des réponses, on prétend supprimer les questions. C’est là le trait particulier, la touche originale d’un système qui fait bruit aujourd’hui, bien qu’il se borne à reproduire des tentatives plus d’une fois avortées, mais qui a du moins ce genre de nouveauté, cet avantage sur ses confrères, issus comme lui du panthéisme, qu’il n’est pas nébuleux, et dit nettement les choses, sans équivoque, avec une franchise bien souvent salutaire, qui s’annonce et s’affiche jusque dans le nom qu’il se donne. C’est le positivisme dont nous voulons parler ; c’est lui qui, du plus grand sérieux du monde, se promet, pour peu qu’on lui prête attention, de délivrer l’humanité de ces malencontreux problèmes qui la tourmentent aujourd’hui.

Son remède est bien simple ; il dit au genre humain : Pourquoi chercher ainsi d’où vous venez, où vous allez ? Vous n’en saurez jamais un mot. Prenez-en donc votre parti. Laissez là ces chimères ; vivez, instruisez-vous, étudiez l’évolution des choses, c’est-à-dire les causes purement secondes et leur enchaînement : la science, sur ce sujet, a des merveilles à vous dire ; mais les causes finales et les causes premières, notre origine et notre fin, le commencement et le but de ce monde, pures rêveries, paroles vides de sens ! La perfection de l’homme et de l’état social est de n’en tenir aucun compte. L’esprit s’éclaire d’autant plus qu’il laisse dans une obscurité plus grande vos prétendus problèmes naturels. Ces problèmes sont une maladie, le moyen d’en guérir est de n’y pas penser.

N’y pas penser ! proposition candide ! merveilleuse ignorance des éternelles lois de la nature humaine ! Notre siècle, dit-on, incline à ces idées ; n’en soyons pas inquiets. On ne prend pas les hommes en leur parlant si clair, pas plus que don Juan n’ébranle Sganarelle par ses sermons sur « deux et deux sont quatre. » Le remède au positivisme, ce n’est pas seulement qu’il tente l’impossible, c’est qu’il le dit naïvement. Supposons même que par miracle il vienne à triompher, supposons que pour lui complaire l’homme renonce à tout souci de ces problèmes qui l’assiègent, à tout désir de les sonder, à toute solution religieuse ou seulement métaphysique, à tout élan vers l’infini, combien croit-on que cela durera ? Jamais deux jours de suite l’esprit humain ne souffrira qu’on le mutile, qu’on l’emprisonne ainsi. Fussiez-vous tout-puissant, il vous échappera, il bondira hors de l’enceinte où vous l’aurez parqué, il vous dira comme le poète :

Je ne puis, l’infini malgré moi me tourmente.