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M. Harpignies ; c’est certainement une des plus remarquables que j’aie vues. Elle est intitulée Route sur le Monte-Mario, à Rome, C’est d’une franchise extraordinaire, sans ficelles, sans petits moyens ; c’est net, précis comme la nature elle-même et d’une largeur peu commune. Un chemin qui monte, des arbres, un ciel lointain, et c’est tout. L’harmonie générale est teinte neutre et un peu triste, mais il y a là une sûreté de main et une vigueur d’exécution rapide qu’on ne saurait trop approuver et recommander. L’Angleterre nous avait seule offert jusqu’à ce jour des exemples d’aquarelles si magistralement enlevées.

Les artistes dont j’ai eu à m’occuper jusqu’à présent appartiennent, sauf de très rares exceptions, à un temps qui n’est déjà plus. C’est dans une époque cruellement dédaignée aujourd’hui qu’ils ont puisé les idées qui les soutiennent et leur permettent de lutter seuls encore contre le courant fatal. L’impulsion qu’ils ont reçue jadis, pendant des jours où les pensées s’échangeaient librement dans des discussions imposantes, a été assez forte pour durer encore. Grâce à eux, grâce à leur puissante éducation, nous avons eu quelques noms à citer, quelques œuvres à louer, et nous avons pu nous consoler du spectacle affligeant qu’offre l’ensemble de tant de médiocrités ; mais quand ils ne seront plus, qui les remplacera ? On ne peut le prévoir. Les morts laissent dans les rangs un vide que l’on ne remplit pas. Ne se présentera-t-il donc pas un jeune homme qui puisse donner une espérance ? Dans la lice, il n’y a que de vieux athlètes ; hors d’eux, je ne vois guère que des enfans débiles qui remplacent l’énergie par l’outrecuidance et le savoir par le grotesque. L’an dernier, c’était parmi les refusés qu’il fallait chercher leurs œuvres ; aujourd’hui plus libéralement elles font partie du Salon. On ne saurait trop louer le jury d’avoir pris ce parti. Il a fait preuve de grande indulgence en acceptant ces tableaux, qu’on ne sait comment désigner, et il a fait preuve d’esprit en les plaçant sous les regards immédiats du public : ces sortes de choses, en effet, sont bonnes à exposer, il n’est pas inutile de montrer des ilotes. Dans cette sorte d’école nouvelle, outrageusement injurieuse pour l’art, il suffit donc de ne savoir ni composer, ni dessiner, ni peindre pour faire parler de soi ; la recherche de sept tons blancs et de quatre tons noirs opposés les uns aux autres est le dernier mot du beau ; le reste importe peu. Dans les grandes compositions, on agit plus simplement encore : on peint ses amis buvant quelques verres de vin, pendant que la Vérité elle-même vient voir comment et combien on se moque d’elle. Si ce n’était que puéril, on pourrait en rire ; mais c’est profondément triste, car il y a là une tendance qui semble être le résultat des habitudes nouvelles de la nation. Voilà, en fait