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dehors de certaines commandes nécessitées par les exigences de la décoration des églises nouvellement construites, nul peintre n’imaginerait, proprio motu, de peindre un tableau religieux. Plus nous allons, et plus les représentations plastiques des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament deviennent rares. Plus rares encore sont celles qui méritent quelque attention. Dans ce genre ingrat, qui excite généralement peu d’intérêt et lasse promptement la curiosité, je ne vois cette année que trois œuvres qui se rattachent à l’art par la façon dont elles ont été comprises et exécutées. La première est un tableau de M. Delaunay, les autres sont deux très beaux dessins de M. Bida.

Il y a deux façons de comprendre la peinture religieuse : l’une qui consiste à suivre servilement la tradition moderne telle que la renaissance nous l’a léguée après l’avoir créée ; l’autre, plus difficile, qui, se préoccupant avant tout de la vérité, prend ses types dans la nature réelle, brise avec la convention acceptée, applique à l’art une sorte de méthode expérimentale et entre courageusement dans la sincérité historique et naturelle. Ce sont là, il faut le reconnaître, deux écoles fort distinctes ; l’une a pour elle la consécration du temps, l’autre a pour elle la saine raison. M. Delaunay appartient à la première ; on peut dire de M. Bida qu’il est le chef de la seconde. La lutte fut longue avant de savoir s’il était permis de représenter Dieu ; la raconter serait intéressant, mais nous écarterait trop du Salon. Aux symboles divers, au poisson anagrammatique que préféraient les premiers chrétiens, presque tous iconoclastes par esprit de réaction contre le paganisme, le concile quinisexte, tenu à Constantinople en 692, permit de substituer des images peintes de Jésus-Christ. On se mit en quête alors de fixer d’une façon définitive les traits du fils de la Vierge : grande dispute ; c’était le plus beau des enfans des hommes, disaient les gnostiques ; il en était, par humilité, le plus hideux, répondaient les manichéens. On avait conservé des images miraculeuses, portraits achéiropoiètes, que l’on consultait ; on répétait le prétendu signalement envoyé de Judée par Lentulus : « Ses cheveux ont la couleur du vin et jusqu’à la naissance des oreilles sont droits et sans éclat, mais des oreilles aux épaules ils brillent et se bouclent ; à partir des épaules, ils descendent dans le dos, distribués en deux parties à la façon des Nazaréens. Front pur et uni, figure sans tache et tempérée d’une certaine rougeur ; physionomie noble et gracieuse. Le nez et la bouche sont irréprochables. La barbe est abondante, de la couleur des cheveux et fourchue. Les yeux sont bleus et très brillans. » De son côté, saint Jean Damascène a fait du Christ le portrait suivant : « taille élevée, sourcils abondans, œil gracieux, nez bien proportionné, chevelure bouclée, attitude légèrement courbée, couleur