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vant les questions d’organisation sociale, sur lesquelles un Arya indien n’entend pas aisément raison, il est possible, dans l’espace de quelques générations, de mettre l’éducation scientifique de l’Inde au niveau de celle de l’Europe. C’est à quoi s’applique avec une remarquable activité le gouvernement de la reine.

Parmi nos sciences, il en est une qui peut produire entre les hautes castes et les Européens un rapprochement plus rapide et plus sûr que toutes les autres : c’est celle des origines. Les indianistes anglais dirigent principalement leurs recherches de ce côté. Les brahmanes, qui tiennent le Vêda pour un livre révélé, n’ont pas songé à l’envisager comme un monument historique et comme un témoignage de leurs ancêtres ; mais, comme le sanscrit fait naturellement d’eux des philologues, l’on n’a aucune peine à leur montrer dans l’analogie des langues la communauté d’origine des nations : par ce chemin très court, les hautes castes arrivent à reconnaître que leurs ancêtres étaient frères des nôtres et qu’elles sont de notre famille. Ce que je dis ici peut exciter la surprise, quand nous voyons les études philologiques avoir chez nous si peu de retentissement ; mais il n’en est pas de même dans l’Inde : l’étude comparative des langues d’Europe et d’Asie s’y pratique aujourd’hui dans un grand nombre d’écoles et de collèges, sinon d’une manière approfondie, assez du moins pour que la fraternité des peuples aryens frappe les yeux. Ainsi marche vers son dénoûment la grande scène de reconnaissance dont je parlais en commençant cette étude. Quand la reconnaissance sera complète, ce qui ne demande pas un grand nombre d’années, les hautes classes de la société indienne, brahmanes et xattriyas, væçyas même, n’auront plus de motif sérieux d’être ennemies des nations occidentales, et il sera possible de les admettre progressivement au partage de tous les droits et de toutes les fonctions publiques. Par un effet naturel de la science, les préjugés et les usages locaux s’effaceront ; les superstitions s’en iront avec eux. Les peuples chrétiens en étaient remplis : ce n’est pas la religion, c’est la science qui les a fait tour à tour disparaître ; elles se réfugient dans les campagnes les plus retirées et dans les pays d’Europe les moins avancés en civilisation. Un phénomène tout semblable commence à se produire dans l’Inde : l’exemple célèbre de Râm-Mohun-Roy rapportant d’Europe la pensée et le projet d’une transaction n’y serait plus isolé et n’y paraîtrait plus surprenant. On y voit naître en hindoustani une littérature éclectique dont le but avoué est d’établir l’union sur la base de la communauté des origines. Le gouvernement anglais la favorise, et il a raison.

Si nous ne nous trompons pas dans nos appréciations, il semble que dans l’Inde deux faits généraux tendent à passer a l’état de