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société européenne, enfin par les sommes que consacrent de riches particuliers à l’établissement de nouvelles écoles. Ainsi un habitant de Surate, Sorabji, a donné 162,500 fr. pour la construction d’un collège dans cette ville ; un Parsi en a donné 125,000 pour fournir à cinq jeunes Indiens les moyens d’aller en Angleterre compléter leur éducation ; l’Indien Prema-Chandra a donné 2 laks de roupies (500,000 francs) pour l’établissement d’une bibliothèque à l’université de Bombay ; Mohammed-Habîb-Bhây en a légué 2 laks 1/2 (625,000 francs) pour la fondation d’une école dans cette même ville[1].

Sir John Lawrence, au milieu des soins sans nombre qu’exige le gouvernement d’un si vaste pays, en donne de tout particuliers à l’instruction publique, et fait plus pour la civilisation de l’Inde que n’avait pu faire aucun des anciens gouverneurs. En acceptant la présidence de la Société asiatique de Calcutta, qui admet souvent dans son sein des savans hindous, il encourage les sociétés littéraires et scientifiques dans tout l’empire. A Laknau, à Lahore, à Barhampour, à Bombay, à Allahâbad et ailleurs, s’élèvent par ses soins des maisons d’instruction publique où les langues, les sciences et les arts de l’Europe vont être ou sont déjà enseignés. Au musée d’Allahâbad vont se réunir, à côté de manuscrits et d’antiquités de l’Inde, les produits naturels du sol, ceux de l’agriculture et de l’industrie, ainsi que des modèles de machines ; les expositions agricoles d’Alipour tendent à devenir annuelles et pour ainsi dire permanentes. L’éducation des femmes, jusqu’ici fort négligée, se développe aussi : on fait des livres pour elles, on crée des cours, et le nombre des Européennes admises comme institutrices dans les maisons privées augmente notablement. Les sciences européennes, tout concourt à le prouver, ne rencontreront pas dans l’Inde le même antagonisme que les religions de l’Occident : les croyances brahmaniques n’ont jamais été en opposition avec la science. Ce fait, que les travaux des indianistes ont parfaitement mis en lumière, est d’autant plus remarquable que presque partout, chez les musulmans et chez les chrétiens, il n’en a pas été de même, et qu’une science nouvelle, pour s’introduire, a toujours des scrupules à lever et une victoire à remporter. Dans le brahmanisme, l’absence de hiérarchie sacerdotale laisse aux prêtres une liberté de penser plus réelle que celle des protestans, et comme à toutes les époques les brahmanes ont été les savans de l’Inde en même temps qu’ils en ont été les théologiens, leur indépendance à l’endroit du dogme leur a donné en matière de science une liberté absolue. Cet. état de choses dure encore et ouvre à l’enseignement européen une large voie. En réser-

  1. Voyez M. Garcin de Tassy, discours d’ouverture, 1864.