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sitôt dans la société européenne. Si donc on pouvait convertir ainsi tous les Hindous, on détruirait du même coup toutes les castes, on passerait le niveau sur la population entière, qui dès ce moment se trouverait assimilée aux Européens, et ne demanderait plus qu’une éducation convenable pour s’élever à leur niveau. De plus, la religion que nous avons reçue dans notre enfance, lors même que nous n’en croyons presque plus rien, exerce sur nous à tout âge un tel empire qu’elle nous accoutume à une certaine manière de penser sur toutes choses, et nous rend très différens des hommes qui ont une autre religion que nous. Si les Indiens acceptaient le christianisme, ils penseraient bientôt comme les chrétiens, et ne différeraient plus de nous que par les choses les plus extérieures et les moins importantes ; de la sorte, ils seraient engagés pour toujours dans le mouvement de notre civilisation. Il faut donc prêcher les Indiens, les catéchiser et les convertir. Voilà comment raisonnent les apôtres anglicans du christianisme aux Indes. Les moyens qu’ils mettent en œuvre sont connus de tout le monde ; ils sont les mêmes dans l’Indoustan que partout ailleurs : beaucoup de missionnaires, de prédicateurs libres et de sociétés bibliques. On ne se fait pas une idée du nombre de bibles qui se débitent chaque année dans l’Inde, et notamment aux fêtes de Jagannâtha et à la foire de Hardwar, où les Indiens se rendent de toutes les parties de l’Indoustan. Il existe en Angleterre et aux Indes des ateliers de traduction, des imprimeries et des comités de distribution uniquement occupés à faire parvenir des bibles aux Indiens dans toutes leurs langues et dans tous leurs dialectes. Je passe sur les missions et sur les prédications, dont les procédés enthousiastes sont quelquefois si bizarres qu’ils excitent l’hilarité des Indiens et des chrétiens eux-mêmes. Eh bien ! faut-il le dire ? ces bibles, ces cotisations, ces voyages, ces flots d’éloquence, sont perdus. Les gens sincères (et j’ai consulté à cet égard des Anglais dignes de foi qui avaient fait dans l’Inde un long séjour) prétendent que l’on ne convertit personne. Les rapports des missions portent le chiffre moyen annuel des conversions à six cents. Sur cette base, il faudrait mille ans pour convertir six cent mille Indiens et deux cent trente mille ans pour les convertir tous.

D’où vient ce peu de succès ? De deux causes : l’ignorance des prédicateurs et le contraste de deux religions presque égales. Les prédicateurs croient tout savoir quand ils ont appris la Bible par cœur et s’imaginent que ce livre possède à lui seul la vertu de convertir le monde ; ils n’ont presque aucune notion des croyances auxquelles ils se heurtent, et ils ont à peu près le même succès qu’aurait un Turc ou un Arabe en prêchant l’islamisme sur nos places publiques, à la porte de nos églises ou dans nos camps. On répète faussement en France qu’en Angleterre l’étude du sanscrit est très