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s’établit entre elle et la religion. En effet, si le mariage eût été permis entre les Aryas et les indigènes, la religion védique se fût perdue avec la race. Le fils de sang mêlé, ballotté entre deux religions ennemies, ou fût devenu un incrédule (et il y en avait déjà au temps des hymnes védiques), ou se fût fait à lui-même une religion bâtarde dans un temps où il n’y avait ni théologie définie ni sacerdoce constitué. A la seconde génération, l’idolâtrie eût fait un nouveau progrès, et au bout d’un temps assez court eût absorbé totalement et fait disparaître la religion des Aryas. Il y avait donc une communauté évidente de destinée entre la race et la religion : l’une se mit sous la protection de l’autre, et le même intérêt qui poussa les Aryas à s’interdire les mariages avilissans leur interdit aussi la participation aux cultes indigènes et l’admission des indigènes à leurs propres cérémonies. Bientôt, la classe sacerdotale s’étant formée en même temps que la classe des guerriers propriétaires du sol, les fonctions que la nature et la conquête leur avaient départies leur furent assurées par la loi religieuse comme par la loi civile ; la grande division en quatre castes s’établit sous cette double autorité, et par la cérémonie de l’investiture la religion scella dans les familles et dans chaque personne le contrat qui les liait à la société. L’Hindou qui a reçu sa part d’instruction et à qui l’on a passé le cordon sacré est aussi fortement lié au système des castes qu’un Européen l’est au christianisme par le baptême ; puis, à mesure qu’il avance dans la vie, ce lien se serre de plus en plus par les usages publics ou domestiques, par le mariage, par le culte, enfin par les préjugés que la religion ou la société engendrent.

Jusqu’à présent, les Anglais n’ont trouvé aucune voie par où il soit possible de pénétrer dans ce système sacré des castes et d’y introduire un principe quelconque de dissolution. Il y a donc une chose au monde contre laquelle les moyens dont dispose la civilisation européenne paraissent impuissans. Cette chose n’est ni la Turquie, puisqu’elle s’empresse elle-même de se transformer selon nos désirs ou tout au moins de nous faire illusion, ni Rome, qui commence à sentir qu’elle est perdue si elle ne cherche bientôt à se rapprocher de nous ; cette force de résistance où viennent s’émousser tous les efforts de l’Occident, c’est la constitution brahmanique et le régime des castes.


IV

Il me reste à parler des deux grands leviers que l’Occident possède, et dont on peut essayer l’effet sur les constitutions orientales, la religion et la science. La conversion d’un Hindou au christianisme entraîne pour lui le renoncement à sa caste et le classe aus-