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forts rencontrent parmi les indigènes une résistance d’autant plus avouée qu’ils se poursuivent avec moins de mesure. L’Hindou considère la loi des castes comme la base de sa constitution sociale et la condition de son existence ; les hommes de caste moyenne ou infime n’y sont guère moins attachés que les xattriyas et les brahmanes, parce que la perte de la caste dégrade toujours un homme quand il y a encore au-dessous de lui un degré auquel il peut tomber. Il n’y a que les hommes du dernier rang, tels que les pukkasas et les chandâlas, qui, n’ayant rien à perdre, consentiraient peut-être à changer de régime social, car on se ferait une fausse idée de la société indienne, si l’on croyait qu’il ne s’y rencontre que quatre castes, celles des brahmanes, des xattriyas, des vœçyas et des çûdras. Ce sont là les quatre grandes divisions primitives ; mais la troisième et la dernière se subdivisent en un nombre presque infini de castes secondaires hiérarchiquement superposées, dont chaque membre a un intérêt positif à ne pas déchoir. La pratique de tous les métiers et tous les détails de la vie publique et privée sont si étroitement liés à cette organisation, que toute dissolution précipitée de ce système provoquerait une épouvantable révolution.

Il est, on le voit, d’un intérêt majeur non-seulement pour la puissance anglaise, mais aussi pour la civilisation occidentale, qu’elle représente aux Indes, de ne pas vouloir ébranler trop vite cette construction séculaire. S’il doit arriver que le régime des castes succombe et soit remplacé par l’égalité européenne, et si la substitution doit se faire par les mains de l’Angleterre, celle-ci a tout avantage à la préparer de très loin et à ménager la transition. Toutes choses marchent vite parmi nous ; mais en Orient les mouvemens sont d’une extrême lenteur, et ceux qui ont voulu les hâter ont été emportés par des révolutions.

L’étude des livres sanscrits et notamment du Vêda, qui a fait connaître l’origine des castes, a montré de plus comment la caste est devenue la clé de voûte de tout l’édifice social des Indiens. C’est un sujet qu’en Europe on ne saurait trop méditer, quand on s’intéresse à notre influence en Orient et à l’avenir de notre civilisation dans ces contrées. La caste, qui est une institution sociale, est en même temps une institution sacrée ; elle fait partie de la religion. Les cultes sont libres : on peut adorer à son choix Vichnu, Çiva ou toute autre divinité. Les croyances et les théories théologiques sont libres également, et l’athéisme seul, c’est-à-dire la négation du principe divin et de l’ordre moral (nâstikya), est banni de l’orthodoxie et pour ainsi dire frappé d’anathème ; mais la loi des castes est aux yeux de tous un principe de religion pratique qui De doit pas être mis en doute. Quand s’établirent sur l’Indus et le Gange les populations aryennes, leur petit nombre, qui engendra la caste, fit qu’un lien indissoluble