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que l’Europe a imaginés ou perfectionnés de nos jours. Sur cette grande route de l’Inde aboutissent par une pente naturelle tous les produits des vallées gangétiques : ceux du sud vont à Madras et à Calicut, ceux de l’ouest à Bombay, dernière station des navires qui viennent de l’Orient pour prendre la voie de la Mer-Rouge ou celle du Cap.

Les routes que l’administration entretient ou crée chaque année dans une grande partie du pays contribuent notablement à diriger le commerce vers les ports anglais. Depuis que les plus importantes d’entre ces routes ont été rendues non-seulement praticables comme au temps de Jacquemont, mais faciles, les transports par caravanes à travers l’Asie ont beaucoup diminué ; ils diminueront encore lorsque les travaux en voie d’exécution seront terminés. En première ligne, il faut compter le réseau des chemins de fer indiens : la ligne principale, qui est à peu près terminée, suit le Gange et la Yamunâ, quitte cette rivière à Delhi, et, traversant la Saraswatî et l’ancienne Çatadru (le Setlége), atteint Lahore, située sur le Raoui (l’Hyraote des Grecs), au centre de l’heptapotamie de l’Indus. Cette grande artère centrale (trunk railway) n’a pas moins de six cents lieues de longueur, et amène vers elle presque toute la circulation commerciale de l’Inde par une attraction irrésistible. Du milieu de cette voie, d’un point situé entre Bénarès et Allahâbad, s’en détache une autre qui s’élève vers le sud-ouest, traverse la chaîne des monts Vindhyas au centre de l’Indoustan et descend en ligne directe vers l’île où est construit Bombay. Elle doit amener dans ce port les produits des vallées occidentales, surtout ceux de la Narmadâ (Nerbudda) et de la Taptî ; elle est exploitée déjà sur une partie de sa longueur. Il en est de même de la ligne qui par Pouna descend de Bombay vers le sud-est, aboutit à Madras et envoie un rameau au sud-ouest vers Calicut. Ces quatre voies de fer forment un ensemble gigantesque : le développement total est de 6,000 kilomètres en chiffres ronds ; par le zigzag qu’elles forment à travers le continent indien, elles en recueillent tous les produits, y facilitent les échanges, mêlent les populations, et permettent aux Européens de se rendre au golfe du Bengale en moins de temps, tout en évitant la longue et périlleuse traversée de Bombay à Calcutta.

Le gouvernement et les compagnies anglaises, qui ont entrepris ces grands travaux, mettent une diligence singulière à les exécuter. Non-seulement ils y voient un agent commercial et un moyen de civilisation, mais un intérêt d’un autre ordre les conduit. Il est pour l’Angleterre d’une nécessité absolue que dans un court espace de temps le commerce de l’Inde, du Tibet, du Caboul et d’une partie de l’Asie centrale prenne sa direction définitive à travers les Indes et se continue par mer soit vers l’Europe, soit vers l’extrême Orient.