Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moral des populations, elle a aboli le titre de gouverneur-général et fait proclamer de Lahore à Calcutta et à Ceylan la reine Victoria impératrice des Indes.

Ainsi la société commerciale du XVIIe siècle, devenue politique et conquérante au XVIIIe, a perdu de nos jours son caractère mercantile ; devenue compagnie de gouvernement, elle a employé vingt-cinq années à compléter et à constituer pour l’Angleterre le plus grand empire de l’Orient après celui de la Chine. Elle a terminé son œuvre en domptant une insurrection qui a plus confirmé qu’ébranlé sa puissance ; puis elle s’est effacée pour remettre tous ses pouvoirs entre les mains de la reine, qui les exerce par l’intermédiaire d’un vice-roi. Aujourd’hui le commerce des Grandes-Indes intéresse encore un grand nombre de négocians anglais, comme il intéresse ceux des autres nations ; mais le gouvernement de cet empire n’a plus qu’un seul but avoué, celui de civiliser les populations indiennes, de les amener à nos idées et de les entraîner dans la sphère de notre activité. Il a donc devant les yeux l’imposant problème de deux civilisations en présence l’une de l’autre, l’une très antique, très diverse et attaquable par sa diversité même, mais représentée par cent soixante millions d’hommes, l’autre plus récente, plus vivante et plus compacte, mais étrangère et représentée par un petit nombre d’Européens dispersés sur le continent des Indes.


II

Les résultats acquis par les efforts séculaires de la compagnie des Indes et remis en 1858 aux mains de la reine sont de diverse nature et de proportions fort différentes. Le commerce, venu le premier, a pris entre les mains des Anglais un développement considérable sur tous les rivages de l’Inde. Si l’on consulte les budgets et les statistiques commerciales, on voit que les annexions successivement opérées ont amené vers la vallée du Gange des produits nouveaux et de plus en plus abondans, de sorte que les produits des provinces éloignées, du Cachemire par exemple, au lieu de prendre le chemin des caravanes ou de descendre la vallée de l’Indus, qui les conduirait directement dans la mer des Indes et les rapprocherait de l’Europe, se rendent maintenant, par Lahore, Delhi et Patna, vers Calcutta, et de là sur le golfe du Bengale. Ce chemin leur fait parcourir au moins huit cents lieues de plus que l’autre ; mais il est naturel, il a été suivi de tout temps par les populations de toute race, il est sûr et il conduit vers cet immense entrepôt de Calcutta où les Anglais ont réuni tous les moyens de transaction