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les hymnes du Vêda, qui sont l’Écriture sainte des Indiens : l’Angleterre voyait nettement que renoncer au territoire d’Aoude, c’était laisser hors de sa sphère la portion la plus intelligente de toute la population des Indes et celle par qui elle pouvait le mieux à l’avenir faire pénétrer dans le pays la civilisation européenne.

La disparition des dernières traces de l’empire mongol irrita certainement contre l’Angleterre une partie de l’Inde mahométane ; la conquête du territoire sacré indisposa contre elle les populations brahmaniques. Est-il certain cependant que la prise d’Aoude ait été la cause de l’insurrection de 1857 ? Faut-il même la ranger parmi les causes principales de cette révolte à côté des célèbres cartouches frottées de graisse de bœuf ? Je n’oserais l’affirmer, car l’antagonisme des conquérans et des vaincus n’était pas nouveau ; il avait été grandissant avec la conquête, et il se faisait sentir à toute heure dans les relations de chaque jour. Quand la compagnie n’était qu’une société de commerce, elle n’avait affaire qu’à des hommes ou à de petits états isolés. Quand elle prit en main le gouvernement de tous ces états, les populations se sentirent vaincues et conquises. Celles du midi, qui semblent nées pour la servitude, ne faisaient que changer de maîtres ; mais celles du nord, où règne en partie le mahométisme, et dont la race est plus noble, reçurent dans leur orgueil une blessure qui s’élargissait à chaque annexion. Enfin, par sa dernière conquête, l’Angleterre mit contre elle l’Inde entière : l’esprit de commerce se trouvant relégué au second rang par la charte de 1833, que l’année 1854 avait vue finir, mais n’avait pas abolie, il parut évident à tous les yeux que les Anglais voulaient substituer leur civilisation à celle du pays et en effacer non-seulement les féodalités et les royaumes, mais aussi les religions, pour y substituer la leur. Il était trop aisé de prévoir ce qui naîtrait d’une telle situation. Les discours de ceux qu’à Londres on appelle les saints, qui veulent convertir les étrangers à tout prix, et même par la violence, ont fait plus pour amener la révolte que les actes les moins justifiables de Clive et de Hastings : ces prédications pleines de menaces ont transformé en une haine aveugle contre les chrétiens l’antagonisme qui grossissait depuis un demi-siècle parmi les musulmans et les Hindous. L’insurrection a été domptée, mais l’Angleterre victorieuse a été une dernière fois instruite par l’expérience : elle a cédé sur tous les points où la lutte religieuse et morale pouvait s’envenimer. Enfin, pour abolir chez les nouvelles générations le souvenir de la compagnie, pour placer en quelque sorte le gouvernement de l’Inde dans une sphère plus calme, étrangère à la querelle des politiques et des saints, pour se déclarer protectrice de toutes les croyances et uniquement occupée du bien physique et