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de Créquy de se montrer pour obtenir d’Alexandre VII une satisfaction éclatante. Louis XIV avait eu d’abord la pensée de les employer contre les pirates barbaresques dont les courses infestaient les côtes de la Provence. Les affaires d’Allemagne firent abandonner ces projets, et le détachement reçut ordre de se rendre en Hongrie. Le chemin lui était ouvert par Venise, le Frioul et la Styrie. C’est ainsi que, par un jeu bizarre de la politique, les troupes du roi très chrétien envoyées contre le pape allaient, pour la défense de l’empereur, se battre contre les Turcs. Le pape avait eu la même idée que Louis XIV, et avait promis à l’empereur sa petite armée, devenue inutile. Le comte Leslie fut envoyé de Vienne pour la chercher à Ancône et la conduire par mer à Trieste. Mal disciplinées, manquant de paie et privées d’officiers, ces troupes se mutinèrent et ne tardèrent pas à se débander. Leslie dut s’en retourner sans avoir pu les réunir, « ce dont le pape fut vivement blâmé. »

Au commencement d’avril, les quatre régimens d’infanterie, avec la brigade de Gassion, se trouvaient à Metz, rassemblés avec les volontaires, et n’attendaient plus que le général qui devait les commander. Ce n’était pas chose facile que de trouver un chef pour ce petit corps d’élite, qui aurait pu fournir d’officiers une armée de cinquante mille hommes. La valeur inexpérimentée de ces volontaires, qui se croyaient tous plus propres à commander qu’à obéir, pouvait être aussi bien une cause de ruine que de succès. Les Français allaient être mêlés à des troupes de nation et de caractère divers, et pour éviter tout conflit d’autorité avec les commandans étrangers il convenait de prouver un homme dont la naissance et la réputation militaire n’eussent pas souffert de rivalité. Beaucoup pensèrent au prince de Condé, et la diète de Ratisbonne, prenant les devans, fit entendre à la cour de France que ce choix lui paraissait excellent, et qu’elle serait disposée à réunir sous le commandement du prince, les contingens de la ligue du Rhin aux troupes françaises. Une telle insinuation déplut à Louis XIV. La suite de son règne prouve qu’il avait sincèrement pardonné au prince de Condé ses alliances avec l’Espagne, mais il n’eût pas trouvé sage de procurer à un sujet récemment rentré dans le devoir une distinction si éclatante et une si rare occasion d’accroître sa gloire militaire. Il le soupçonnait d’ailleurs d’avoir provoqué la démarche de la diète, et, pour en marquer son mécontentement, il se décida tout à coup à choisir pour commander les volontaires français le comte de Coligny.

Le comte de Coligny, de la maison de l’illustre amiral massacré à la Saint-Barthélémy, était l’homme qui pouvait être le plus désagréable à Condé. Attaché d’abord au parti de la fronde et l’un