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tout restait en suspens ; l’automne était arrivé, bien des gens comptaient sur l’hiver, sur l’interruption qu’il amènerait dans les hostilités, pour renvoyer tout à une nouvelle diète. Bientôt les Turcs apportèrent à l’empereur et à ses partisans de tristes et terribles argumens. Le grand-vizir, comme on l’a vu, avait concentré son armée à Bude, menaçant de là les trois places de Neuhausel, Raab et Komorn, également importantes pour la défense de l’empire. Il faut remarquer cependant que les deux dernières couvraient Vienne, tandis que Neuhausel servait de rempart à la Bohême et au reste de l’Allemagne. La place de Neuhausel, investie par des forces supérieures, mal défendue par le comte Forgats et les milices hongroises, fut prise après un siège de trois semaines (22 septembre 1663). En vain Montecuculli avait envoyé une moitié de sa petite armée au secours de la garnison, tout était consommé avant que ce détachement eût pu opérer sa jonction. Les Turcs étaient maîtres du pays entier ; les villes de Lewentz, Novigrad, Neutra, étaient tombées en leur pouvoir ; la terreur avait rapidement gagné tous les esprits ; les Turcs se montraient sans pitié, surtout pour les Hongrois, qu’ils regardaient comme des sujets révoltés. Sur trois mille prisonniers faits à Neuhausel, sept cents avaient été littéralement hachés ou tués à coups de flèche sur le front de l’armée. Cependant des partis de Tartares ravageaient, pillaient, incendiaient la Moravie, amenant de longues files de captifs au camp des Turcs, où des marchands les achetaient à vil prix et les envoyaient aux bazars de Bude et de Constantinople.

La chute de Neuhausel eut un retentissement prodigieux dans l’Allemagne et l’Europe entière. A Vienne, on crut tout perdu, et pendant que les Hongrois fugitifs y arrivaient par grandes bandes, poussant devant eux leur bétail, leurs troupeaux et leurs familles entassées dans des chariots, les habitans de Vienne, à leur tour, se hâtaient de quitter la ville, qu’ils voyaient déjà tomber aux mains d’un ennemi barbare. Les gens riches, la cour et l’empereur lui-même, de retour de Ratisbonne, se décidaient à se réfugier à Lintz. Ces terreurs étaient trop justifiées. Peut-être Montecuculli, attaqué dans sa forte position, aurait réussi à se défendre ; mais si le grand-vizir eût tourné cet obstacle, soit en continuant sa marche par la Hongrie du nord, soit en descendant au sud, comme il le fit au printemps, Vienne était investie et prise sans résistance possible. Tout était ouvert à l’ennemi, tout ce qu’il tenterait devait réussir. Rien ne pouvait plus sauver l’empire que le hasard, c’est par le hasard qu’il fut sauvé. Le grand-vizir était las de cette longue campagne. Il fit venir ses femmes à Grán sur le Danube, établit ses troupes en quartiers d’hiver, et s’enferma dans son harem. Vienne