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jour, l’infortuné s’écrie avec une stupeur de mépris plus terrible encore que la colère : « Quelle femme êtes-vous donc ? » Eh bien ! c’est ce mot qui condamne la pièce. Dès les premières scènes, bien avant que le malheureux Dumont ait jeté ce cri, tout spectateur intelligent a eu le temps de se dire vingt fois la même chose : « Quelle femme est-ce donc là ? » Quoi ! sept ans d’adultère forcé ! sept ans d’ignominies perpétuelles ! Mais ce n’est pas de la tristesse qu’elle doit éprouver, ce n’est pas une vague souffrance entremêlée de sourires ; l’avilissement moral est à son comble, cette créature n’est plus une femme. Remarquez d’ailleurs que, malgré les précautions du metteur en œuvre, l’horreur et la fausseté du drame sautent aux yeux tout d’abord. Si le sentiment humain se révolte contre une donnée pareille, ce n’est point par une réflexion rétrospective. Nous le voyons à l’œuvre, cet amant devenu le bourreau de la femme qu’il a perdue ; il ose faire espionner la mère par l’enfant ; il ose dire à l’épouse qui prononce le nom de son mari : « Je vous défends de l’appeler Henri devant moi. » Il ose enfin exercer sa domination par les moyens les plus violens, pousser des cris, proférer des menaces, où cela, je vous prie ? Dans un salon ouvert à tous, sous les yeux des laquais, à la porte du cabinet de l’époux, et nous apprenons de la victime que ces brutalités se renouvellent tous les jours depuis sept années. S’il y avait encore dans le public mélangé de nos théâtres quelque reste de cette délicatesse littéraire et morale tant redoutée autrefois, une telle scène n’aurait pu être écoutée jusqu’au bout.

La violence et la fausseté de la conception pèsent sur l’ouvrage tout entier. La rapidité de l’action, la marche haletante de la pièce, ces incidens qui se pressent et courent au but, tout cela était nécessaire en un pareil sujet. Je dirai même que l’agilité matérielle de la mise en scène était ici une condition indispensable ; quelques minutes d’entr’acte, pas davantage : il ne fallait pas que le spectateur eût le temps de respirer. Quelle que soit pourtant l’habileté de l’escamotage et malgré tout le talent des acteurs, est-il besoin d’une grande sagacité pour découvrir le défaut de la cuirasse ? Le vice de cette œuvre, c’est la sécheresse. L’héroïne est trop lâche pour qu’on soit touché de son supplice. Tomber et se relever, telle est bien la condition de l’humaine nature. Quoi de plus dramatique et de plus émouvant, quoi de plus humain que le repentir après la faute ? Il y a là des sources d’inspiration poétique. L’auteur, en traçant le plan de son œuvre, s’est interdit ces trésors. Ne parlez pas de repentir à propos de cette malheureuse ; elle n’éprouve qu’une tristesse sans courage, elle ne se dénonce qu’à la dernière extrémité. Ce n’est pas sa conscience, c’est la fatalité des faits qui la pousse à se livrer à son juge. La scène très bien conduite, et surtout admirablement jouée, où Mathilde remet à son mari la lettre qui va déchirer son cœur, cette scène, le point culminant de la pièce, serait bien autrement dramatique, si la conscience était en jeu. On n’aperçoit ici que l’instinct, le vague instinct de la naufragée au moment où elle va disparaître dans l’abîme. Pas de conscience, point de drame.

En face de la brutalité à la fois odieuse et invraisemblable de l’amant, en face de l’avilissement de la femme, avilissement impossible dans la situation d’esprit qu’on lui prête, et contre lequel protestent toutes les femmes, le mari seul est vrai. Il est vrai et touchant quand il domine les