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partenant aux premières familles musulmanes et chrétiennes, qui auront le rang d’officiers et qui conserveront leurs costumes nationaux. Ce sont là autant de symptômes favorables dont il faut reconnaître l’importance. « Je tiens à proclamer, a dit Abdul-Azis en montant sur le trône, que mon désir d’assurer la prospérité de mes sujets n’admettra aucune distinction, et que mes peuples de différentes religions et de différentes races trouveront en moi la même justice, la même sollicitude et la même persévérance à m’occuper de leur bonheur. » Assurément il y a partout eu Turquie, comme dans bien d’autres contrées, une lutte opiniâtre entre la routine et le progrès. Quand il ceignit le sabre d’Omar dans la mosquée d’Eyoub, Abdul-Azis portait le costume de la réforme ; mais les ulémas avaient revêtu l’ancien costume oriental. Le hatti-chérif de Gulhané et le hatti-humayoun de 1856 n’ont été, il est vrai, que partiellement mis en vigueur ; l’Europe n’en doit pas moins prendre acte de toutes les promesses qu’ils renferment et favoriser le développement des germes de progrès qui ont été jetés sur le sol ottoman.

La meilleure manière de juger la question, c’est de regarder les choses avec sang-froid, sans songer aux remèdes héroïques ou aux bouleversemens universels ; c’est de s’habituer à l’idée de la régénération de l’Orient par lui-même. La plupart des populations dont.se compose l’empire turc n’aspirent pas à se séparer du sultan. Elles tiennent à conserver leurs mœurs, elles voudraient jouir de toutes les libertés, mais en même temps rester dans l’empire comme dans une sorte de fédération. Elles acceptent volontiers le secours et les lumières de l’Occident, mais à la condition de ne subir ni son influence ni son joug. Elles trouveront dans leur propre sphère et dans leur propre action des élémens de progrès. Elles ne conçoivent encore que très confusément sans doute les idées générales d’état et d’administration ; mais elles ont toujours conservé les sentimens de famille, le culte profond du foyer, la foi dans l’avenir, et les différentes races de l’empire ottoman, sans être arrivées aujourd’hui à une maturité intellectuelle assez robuste pour prendre part en commun aux grands débats de l’esprit humain, sont peut-être moins éloignées qu’on ne le pense de l’heure d’une réconciliation.

Telle est la ferme espérance de l’auteur dont le livre nous suggère ces réflexions. Sous ce titre : la Turquie en 1864, M. Collas a fait une étude rapide et substantielle des ressources de l’empire ottoman. A ses yeux, la seule solution équitable et pratique de la question d’Orient, c’est le progrès économique et commercial de la Turquie, c’est l’application à ce pays des idées, des doctrines, des améliorations morales et matérielles qui ont été la source de la prospérité de l’Occident. Convaincu que, dans ce siècle de concurrence, la paix est pour une nation immobile une épreuve plus grave et plus redoutable que la guerre, il comprend toutes les difficultés, il signale toutes les crises de la période de transition que parcourt l’empire ottoman. Il reconnaît les réformes accomplies, mais il ne se dissimule en aucune façon tout ce qu’il faut encore d’énergie et de patience pour en poursuivre le développement. Armée, marine, finances, agriculture, commerce, travaux publics, il a tout étudié en Turquie, et son ouvrage contient des données statistiques qui présentent un Intérêt réel.