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sieurs fois, comme de tels efforts ne peuvent pas toujours se renouveler, il faut, coûte que coûte, l’enlacer par une population nombreuse, énergique et fortement constituée. Hors de cela, il n’y aura que des efforts impuissans et des sacrifices qu’il faudra toujours recommencer, jusqu’à ce qu’une grande guerre européenne ou une grande catastrophe en Algérie nous force à abandonner une conquête que nous n’aurons pas su consolider. »

Ce sont là encore aujourd’hui, comme il y a vingt ans, les deux termes du problème algérien : la domination assurant la sécurité, la colonisation mettant la sécurité à profit pour diminuer le plus promptement possible les charges, les frais et les incertitudes de la domination. Nous n’avons pas le dessein de rechercher en ce moment les causes qui ont, dans ces derniers temps, donné des inquiétudes à notre domination et porté dans la colonisation une sorte de découragement et de trouble. Nous constatons simplement l’état de choses qui a dû éveiller l’attention de l’empereur et qui a réclamé sa présence en Algérie. Cet état de choses était devenu tel qu’il a paru nécessaire que le chef du gouvernement vînt en personne affirmer à la population arabe la volonté résolue et permanente de la domination française, et à la population européenne la sécurité et l’avenir de l’œuvre colonisatrice. Ce double objet a été indiqué d’une façon expressive dans les proclamations impériales adressées aux colons européens et aux Arabes. Il était si important de signifier aux Arabes que toute résistance leur est impossible et inutile, et de ranimer la foi des colons dans l’avenir de l’Algérie, qu’en présence du résultat acquis il serait puéril de chercher à commenter le langage des proclamations. Il est peu probable en effet que des populations musulmanes soient très sensibles à des citations du Coran qui leur sont transmises par un souverain chrétien. Cette sorte de morale religieuse aurait plus de crédit auprès d’elles en passant par la bouche d’un marabout. Nos tribus nomades d’Afrique et nos paysans kabyles sont mal préparés encore à lire avec fruit l’histoire de César, à comprendre, à la lueur des révélations de la philosophie de l’histoire, comment la conquête devient favorable aux vaincus par la fusion des races et le mélange des civilisations. César lui-même, s’il se fût avisé de cette philosophie, n’eût point réussi à l’inculquer à nos pauvres ancêtres, Éduens, Arvernes ou Séquanes. Puis, si nos Arabes étaient instruits en ces matières, ils pourraient riposter que, pour faire la France, il a fallu bien autre chose que la conquête des Gaules par les légions césariennes ; qu’assujettis aux Romains, les Gaulois participèrent à la pourriture et à la décadence de l’empire ; que, sans le christianisme et l’invasion germaine, à laquelle ils doivent le nom qu’ils portent, ils ne seraient pas devenus les Français ; mais ces comparaisons et ces digressions historiques sont amplement couvertes par la conclusion de la proclamation impériale. En réitérant aux Arabes l’arrêt de la force et en leur promettant la justice, l’empereur leur a parlé le langage efficace qu’ils peuvent comprendre, et auquel on doit espérer qu’ils se rendront. L’empereur a également touché juste en promettant