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Lui, sans malice aucune et sans même hésiter,
Me la répète ainsi qu’il vient de me la dire.
Alors de m’écrier : O mon maître en satire,
Horace, cher Flaccus, je vous prends en défaut !
Si dans quelque recoin de ce monde falot
Vous, le fin ricaneur, vous pouviez encor vivre,
Comme je vous ferais rayer de votre livre
Cette affirmation au verbe trop certain,
Que nul n’est ici-bas content de son destin !
N’ai-je pas rencontré même en votre patrie
Un homme s’avouant satisfait de la vie ?
Et cet homme n’est pas un des rares esprits
De la littérature, un des grands favoris
Du splendide Plutus, mais une âme chrétienne
Peinant au plus bas rang de la famille humaine !
Oh ! la bonne leçon pour tous ces altérés
De richesse et d’honneurs profanes ou sacrés,
Tantales inquiets, sans repos et sans joie,
Dans l’océan de biens où leur âme se noie,
Et qui, chargés de croix, de places et d’honneurs,
Meurent rêvant encor de nouvelles faveurs !
Il en est un surtout de cette folle race
Que j’eusse avec mon vieux voulu voir face à face,
Et le tympan frappé de l’aveu franc et net
Que si naïvement ses deux lèvres m’ont fait !
C’est celui dont le pas, du midi jusqu’à l’ourse,
Fatigua notre France à le suivre en sa course,
Et qui disait un jour au brave compagnon
De sa gloire blâmant sa vaste ambition,
Et prétendant qu’à Dieu, si Dieu l’eût laissé faire,
Il eût ravi le trône en la céleste sphère :
« Cette place, Duroc, point n’en voudrais, ma foi !
Car elle ne serait qu’un cul-de-sac pour moi. »
Qui sait ?… Peut-être bien que le terrible sire
Aurait mis quelque frein à sa fureur d’empire
En voyant tant de calme heureux sous les dehors
D’un pauvre paysan, d’un langueyeur de porcs.

AUGUSTE BARBIER.