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UNE RÉPUTATION D’HORACE.

Il me souvient qu’un jour, aux plaines de l’Ombrie,
Voyageant, suivant l’us de la vieille Italie,
Dans le carrosse lourd d’un lent vetturino,
Nous prîmes a mi-route un compagnon nouveau.
On avait dépassé d’un mille ou deux Spolète,
Ville antique et sans peur, la seule qui tint tête
Au fameux Annibal. Notre homme dans son coin,
Après force saints, s’assit, puis, avec soin
Rangeant ses vêtemens et fermant la paupière,
S’endormit au roulis du coche dans l’ornière.
Tandis qu’il sommeillait en ronflant doucement,
J’examinai son air et son accoutrement.
C’était un beau vieillard basané de visage,
Et sur le front duquel la rude main de l’âge
Avait en sens divers tracé maint sillon creux
Et semé sur le poil plus d’un flocon neigeux.
Il portait un habit en drap de couleur brune,
Culotte également de drap, puis à chacune
Des jambes guêtre en cuir montant jusqu’au genou,
Le tout enveloppé, depuis les pieds au cou,
D’un large manteau brun. Selon toute apparence,
Le hasard du chemin m’avait mis en présence
D’un fermier du pays qui, sans autre attirail,
Allait dans quelque foire acheter du bétail.
Or, tout en regardant sommeiller le bonhomme,
À part moi je disais : Il rêve dans son somme
De vaches, de moutons et du gain qu’il pourra
Réaliser ; puis, quand il se réveillera,
Le même rêve encor remplira sa cervelle,
Ne pensant qu’à grossir d’écus son escarcelle
Pour le repos final, et ses jours, un par un,
S’useront jusqu’au terme en ce cercle commun.
Après tout, n’est-ce pas une façon de vivre
Comme une autre, et qui vaut l’agrément de poursuivre
Une rime sonore en son vol vagabond,
Souvent métier de dupe ? — Arrivés près du mont
Où naquit saint François, un moment l’on arrête
Pour laisser respirer après si longue traite
Les chevaux fatigués ; chacun s’élance à bas
Du coche, et me voilà debout, croisant les bras,