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politique : ôtez la Maison-Blanche et le Capitole, il n’y reste rien ; les hôtels, les maisons particulières n’y sont que des antichambres du congrès. On y coudoie sans cesse sénateurs, députés, envoyés de toutes les parties de l’Union, gouverneurs des états. Aucune influence durable, sociale, religieuse ou simplement mondaine, ne s’y mêle à l’exercice des droits et des devoirs de la vie publique ; les députés de Nevada ou de la Californie n’ont à débattre avec ceux du Massachusetts et du Maine que des questions générales. On est toujours sur le forum ; dans un tel milieu, l’esprit de parti s’aiguisant, s’exaltant sans cesse, il est difficile de conserver la mesure et la froideur qui sont les défenses de la volonté individuelle. Pendant les quatre années de sa présidence, il ne s’est peut-être point passé un jour où M. Lincoln n’ait subi la pression des ambitions, des rancunes, des prétentions personnelles. Il se défendait par sa discrétion, se dérobait par sa souplesse, et au milieu de l’agitation universelle conservait son calme avec sa modération résolue.

Jamais il n’eut de véritable cabinet, bien qu’il réunît quelquefois le conseil des ministres. S’isolant dans sa responsabilité, il enferma ces derniers dans les affaires extérieures, dans les finances ou dans la guerre, laissant à chacun, dans le cercle de ses attributions, une autorité à peu près complète. S’il s’isolait ainsi un peu trop suivant ses détracteurs, ce n’était ni par ambition ni par orgueil : la nécessité l’obligeait à faire travailler en même temps pour le bien de l’état des ministres quelquefois séparés par des méfiances et des antipathies personnelles. Sur presque toutes les matières, il manquait de leurs lumières spéciales. Sa grande science était la connaissance des hommes. Il savait s’en servir, et trouver les meilleurs ouvriers pour les tâches qu’il se sentait lui-même peu capable d’accomplir. Aussi ignorant des affaires de l’Europe, de ses dynasties, de ses hommes d’état, de sa politique enchevêtrée qu’il connaissait bien son propre pays, il avait eu le bon sens d’abandonner entièrement le labeur diplomatique à M. Seward, plus capable que personne de faire respecter les droits et la dignité des États-Unis sans les jeter dans des complications extérieures. Sur un point seulement, il s’était mis d’accord avec lui : il voulait, par tous les moyens honorables, préserver son pays de la guerre avec les puissances européennes tandis qu’il était déchiré par la guerre civile. Malgré bien des provocations, il n’employa jamais à l’égard de ces puissances que le langage le plus amical et le plus réservé. En cela, il ne se montra pas seulement politique habile ; il obéissait aussi à l’instinct secret de son cœur : homme de l’ouest, il n’éprouvait pas, à l’endroit de l’Europe, de ses appréciations, de ses critiques, les susceptibilités si vives des habitans des états de l’Atlantique. Il y