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cette épreuve, et déclara que pour lui Isidore n’était pas le coupable. Il s’ensuivit une émotion générale, et l’audience fut quelques instans suspendue de fait. On causait de toutes parts, à demi-voix, avec animation. M. Gestral, qui avait M. Darronc à sa gauche, avait déjà échangé quelques mots avec son voisin de droite. Cet homme, tiré de sa somnolence par l’intérêt grandissant de l’affaire, était un chaud partisan d’Isidore. M. Gestral feignit de le contredire en montrant ce que pouvaient avoir de défectueux les déclarations du docteur. Le voisin ripostait avec énergie. M. Darronc, que semblait avoir mis hors de lui l’impression du public à la suite des affirmations si nettes et si sensées du médecin, se penchait du côté des interlocuteurs et recueillait avidement les paroles de M. Gestral. Celui-ci, en apparence poussé à bout, se retourna tout à coup vers lui. — N’est-ce pas, monsieur, que ce que j’avance est probable ?

— Certes, répondit M. Darronc dans un premier mouvement.

Mais, se ravisant aussitôt, il parut examiner le commissaire avec une défiance excessive. M. Gestral lui offrit alors un si honnête visage, ce que la bienveillance habituelle de ses traits lui rendait facile, des lignes si placides et si inoffensives, que M. Darronc se remit pendant que le commissaire se disait intérieurement : — Ah ! je suis enfin sûr de toi ! — Toutefois il ne jugea pas à propos de continuer l’entretien, et comme le président agitait sa sonnette, il fit lui-même quelques légers chuts ! avec un petit geste de la main qui témoignait de son extrême envie de ne point être dérangé dans ce qu’il allait entendre.

Le troisième jour était réservé pour le réquisitoire, la défense et l’arrêt. M. Gestral eut soin de ne pas arriver de trop bonne heure, et se fit placer de manière à voir sans être vu. La précaution n’était pas inutile, car M. Darronc, comme s’il eût cherché son voisin de la veille, jeta plusieurs fois des regards inquiets autour de lui. Le réquisitoire fut très habile. Il mit facilement de côté les dépositions des témoins qui n’établissaient en définitive que les bons antécédens d’Isidore. Les rapports du commissaire et du médecin étaient plus sérieux ; mais quelque valeur qu’un esprit bienveillant pût leur accorder, il n’en était pas moins vrai qu’ils n’apportaient à la décharge de l’accusé aucune de ces preuves convaincantes et matérielles que la justice a le devoir impérieux de réclamer. Il restait intact et accablant, le fait de cette femme assassinée aux côtés de ce mari qui ne s’était point éveillé au moment du crime, qui n’avait reçu aucune blessure. A six heures du matin seulement, trois heures environ après l’événement, comme il résultait des aveux mêmes de Renouf, il venait se livrer au commissaire de police en déclarant avoir agi dans un accès de somnambulisme. Un