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sister à la ruine de ses espérances, des ivresses et des angoisses de la lutte ? C’est donc au Palais de Justice que M. Gestral donna en esprit rendez-vous au meurtrier.

Cependant l’affaire d’Isidore s’instruisait et allait être jugée. Les vacances étaient terminées, et elle passait une des premières. Isidore, qui n’avait été maintenu que vingt-quatre heures au secret, reprenait courage. Quelque chagrin qu’il eût ressenti de la mort d’Albertine, il n’avait point vécu assez longtemps avec elle pour ne pas se consoler. Sa douleur s’était d’ailleurs atténuée dans l’horreur de sa situation. Habilement soigné par le médecin qui avait constaté son état et qui s’intéressait à lui, il s’était peu à peu soustrait à ses hallucinations du premier jour. Un de ses anciens camarades, devenu avocat, à qui il avait confié sa défense, et M. Gestral venaient aussi le voir souvent. Au milieu de ces trois hommes, Isidore recouvrait le sentiment de son innocence. Cependant l’événement auquel il était mêlé restait pour lui tellement inexplicable qu’il n’avait aucune preuve à donner. Cela le désespérait, et il ne cessait de répéter à ses amis : « Qui peut l’avoir tuée ? » L’avocat, qui avait cherché des indices matériels et n’en avait point trouvé, était assez embarrassé ; mais il comptait sur l’appui du médecin, dont les déclarations seraient en faveur d’Isidore, et peut-être un peu sur son éloquence, qui rencontrait un beau début dans cette affaire. M. Gestral souriait et se gardait bien de rien dire. Il eût craint qu’aux débats une maladresse d’Isidore, en le mettant en cause, n’effarouchât l’inconnu. En voyant sourire M. Gestral, le médecin prenait confiance et disait au jeune homme : — Mon cher malade, nous verrons bien si l’innocence et la science seront battues du même coup.

Les débats s’ouvrirent enfin. L’auditoire était nombreux, ce qui fit plaisir à M. Gestral, car l’inconnu ne devait avoir aucune hésitation à se confondre dans une telle foule. Toute la jeunesse des écoles était venue assister l’accusé de ses sympathies et de sa présence. Isidore, très ému à son entrée, s’enhardit en n’apercevant autour de lui que des regards amis. Outre les étudians, il y avait une assez grande quantité de femmes et ces rentiers ou retraités oisifs qu’on pourrait appeler les habitués de la cour d’assises. Cette première journée fut consacrée à l’audition des témoins. Aucun, à vrai dire, ne savait rien du fait principal ; mais tous déposaient des bons antécédens de l’accusé comme de l’harmonie qui semblait exister entre sa femme et lui. On lut aussi le rapport de M. Gestral, qui avait obtenu l’autorisation de ne pas comparaître. Ce rapport ou plutôt ce procès-verbal, très net, écrit sous la vive et lucide, impression du crime, fit passer un frisson dans la salle : il ne concluait pas et n’avait pas à conclure, mais il inclinait à l’inno-