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sont des niais. Il n’existe ici-bas de vrai médium que le génie. Voulez-vous voir Indra, Surya, Varuna, Parana, Yama, princes de l’air, des flots, du soleil, des vents, de la justice et de la mort, écoutez et dites ensuite combien de temps il faudrait faire manœuvrer des tables tournantes avant d’en savoir sur ce chapitre de la mythologie hindoue autant que Meyerbeer vous en aura révélé dans cette solennelle mélopée dont Gluck lui-même n’aurait pas inventé le caractère, car Gluck n’avait connu ni les Hammer ni les Humboldt.

M. Obin fait une création de cette figure de brahmine empreinte de l’hébétement farouche de l’extase orientale. Il a le masque glacé, l’œil terne, l’attitude raide, impassible. Assis sur son trône de granit rose, la tiare en tête, voilé de blanc, long, muet, émacié par le jeûne, les pèlerinages et toutes les ivresses de la vie mentale, vous le prendriez pour une idole de Pradschapati. S’il se dresse, s’il parle, ses bras se décollent à peine, il a le geste rare, étroit ; mais en revanche dans cette voix superbe invoquant, maudissant, exorcisant, que d’énergie féroce, de flammes concentrées qui se font jour ! On dirait un volcan jetant sa lave, puis, le ravage consommé, se refermant aussitôt sous ses neiges. Ce personnage n’a que deux scènes, mais il vit et se meut dans l’œuvre de Meyerbeer avec une originalité de physionomie dont il faut savoir gré au chanteur d’avoir compris et rendu la puissance. — Maintenant essayez de déguiser votre grand-prêtre en parfait sauvage, tatoué, peinturluré, coiffé de plumes ; au lieu de Brahma, Vichnou, Siva, faites-lui évoquer Mamajambo ! et si vous amenez le public dans votre jeu, si vous réussissez à l’émouvoir, à le convaincre, nous consentons à nous ranger à l’opinion de toute une critique à la fois hardie en ses découvertes et on ne peut plus judicieuse, laquelle veut absolument que Meyerbeer ait commis une bévue en intronisant la religion brahmanique chez des peuplades reconnues pour n’avoir jamais adoré que des fétiches. Les danses mêmes ont ce caractère sacré. Ces motifs d’un charme délicieux, ces rhythmes timbrés de vibrations étranges, inouïes, respirent les langueurs nostalgiques de l’être absorbé par l’être. La parole ne se prête pas à ces délicatesses : c’est comme si vous vouliez trancher des lis avec un glaive de combat ; la danse, de nature plus musicale, joue avec les dispositions de l’âme, rend-les soupirs inarticulés de la créature. Toute idée doit pouvoir être présentée à son plein et entier avantage par les moyens dont dispose l’art dans lequel on la prétend produire. Si.les moyens sont insuffisans, c’est à l’artiste d’abandonner, son idée. Meyerbeer connaissait cette vérité, la pratiquait. Quand un sujet l’avait une fois tenté, il ne le quittait plus, convaincu d’ail-