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mançiper, tenter des digressions de côté et d’autre, force était toujours d’y revenir, car le théâtre exerçait sur son génie une sorte d’influence démoniaque. Invinciblement ses lectures les plus graves, ses méditations l’y ramenaient ; il poursuivait, relançait la situation jusque dans l’Evangile. « Lazare, lève-toi ! » que n’eût-il pas donné pour pouvoir mettre en musique ce cri sublime du Sauveur ! « Vous n’y songez pas, lui disions-nous un jour à ce sujet : un opéra de Lazare est impossible, faites un oratorio. » Mais non, il eût voulu aussi le décor, le spectacle. Cette évocation surhumaine, c’eût été le rayon de lumière dans une toile de Rembrandt. Il fallait à son tableau le jeu des ombres, les combinaisons de la mise en scène ; l’idéal entrevu était de peindre au réel la vie d’un Dieu.

Contraint d’y renoncer, il revenait à l’histoire, écrivait cette page admirable du premier acte de l’Africaine, dont la grandeur vous émerveille. Que d’invention dans ce finale, de rhythmes, d’incidens ! Quelle puissance tour à tour et quelle distinction caractéristique dans ces périodes accompagnant, commentant, nuançant les divers mouvemens de l’action ! Le conseil entre en scène sur une marche à rhythme pointé d’une belle ordonnance, puis tout aussitôt éclate l’invocation des évêques appelant les lumières d’en haut sur les travaux de l’assemblée : phrase imposante, d’une simplicité, d’une grandeur suprême, plusieurs fois ramenée et toujours heureusement au double point de vue de l’intérêt musical et dramatique, tout un chœur d’hommes vocalisant à pleine voix et à l’unisson ! Sur un de ces rhythmes brillans, superbes, qui sont comme des coups de pinceau d’un Véronèse, entre Vasco de Gama. Il raconte le désastre de la flotte, expose sa demande. Rien qui sente la prouesse, l’emphase du chanteur de cavatine : un récitatif excellent, plein de calme, de dignité, serrant le texte. Les esclaves sont introduits, le mode change. Un prélude bizarre les amène : pressentiment, ressouvenir de ces contrées lointaines dont Sélika et Nélusko sont comme les échantillons présentés au conseil par Vasco. « Nommez votre patrie ! » leur enjoint le président. Ils se taisent. Sélika pourtant va parler, séduite, fascinée par l’irrésistible supplication de Vasco. L’esclave l’en empêche. On renvoie tout ce monde, et la discussion s’établit : opposition des voix de basse du côté des prêtres représentant la droite et des voix de ténor formant la gauche. Entre le vieil esprit du passé et les idées nouvelles, la lutte s’engage, s’envenime ; la querelle menace de tourner au scandale, lorsque les évêques se lèvent sur leur banc et de nouveau entonnent ce splendide Veni Creator dont les trois dernières mesures, après l’immense explosion de la phrase principale, ont la gravité solennelle de l’Amen liturgique. Rentré en scène, Vasco apprend que ses projets sont rejetés comme insensés ; il s’indigne, maudit