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figure d’un Philippe II, j’aurais voulu plus d’esprit de suite dans l’attitude de ce caractère, je m’attendais à plus de fanatisme dans l’idée. L’homme qui brave l’anathème pour donner un monde à son pays n’a point de ces velléités à la Faublas. Il est vrai que, si le portrait historique perd beaucoup à cette circonstance, la partition y gagne d’incomparables trésors de mélodie. Évidemment, sans cette entorse donnée à la composition systématique du personnage de Vasco, le splendide duo du quatrième acte n’aurait pas vu le jour, une page éclatante celle-là, qui, dès l’entrée en matière, tourne au chef-d’œuvre, et va se développant dans une gamme telle que, lorsque vient la fin, vous vous dites : Le duo de Valentine et de Raoul dans les Huguenots a trouvé son pendant, s’il n’est dépassé ! — D’ailleurs, proclamons-le tout de suite, la richesse mélodique fait de cet opéra un ouvrage à part entre les meilleurs du maître. Le flot ici coule à pleins bords ; c’est inspiré, puissant jusqu’à l’exubérance, d’une abondance, d’une plénitude de formes, de couleur et de vie à la Véronèse. J’entendais raconter d’avance que Meyerbeer avait pour cette fois modifié sa manière, donné davantage à la voix des chanteurs. Ce qui s’était dit d’un changement de style avant Guillaume Tell se publiait au sujet de l’Africaine. L’opinion, les dispositions du personnel d’un théâtre, quand ce théâtre est l’Opéra, comptent pour beaucoup dans l’effet que l’ouvrage qu’on répète doit produire. De la scène et de l’orchestre, cette opinion se répand dans la ville, et souvent c’est elle qui décide du premier applaudissement, lequel à son tour décide du succès de la soirée. Je sais que tout ce monde-là d’habitude juge individuellement, et que la question d’art l’influence moins que la question de ses convenances particulières. Cependant cette fois ces dispositions ne pouvaient que parler en faveur de l’ouvrage, car avec Meyerbeer on était bien sûr qu’elles ne seraient pas achetées au prix de reprochables concessions.

Ce n’est pas seulement de ses forces, mais aussi et surtout de ses faiblesses qu’un esprit vraiment progressif prend conseil. On lui avait tant dit : « Vous n’êtes pas un mélodiste, » qu’à la fin il se lassa de l’objection et voulut répondre par une de ces évolutions de la dernière heure qui sont faites pour confondre la critique en lui venant montrer sous un point de vue tout nouveau l’artiste qu’elle s’imaginait avoir une fois pour toutes caractérisé. Qui jamais aurait cru avant Guillaume Tell que le Rossini de Tancrède et d’Otello serait capable de s’élever à ce sentiment de la vérité dramatique ? De même du Meyerbeer de l’Africaine ouvrant l’écluse à des flots de mélodie qui ne tarissent plus. Ampleur, élégance, une variété de rhythmes, un luxe de timbres dans l’orchestre à vous éblouir ! D’ordinaire les mélodies d’un maître se reconnaissent à certaine désin-