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pagne, et lui a infligé la paix de Vervins en compensation du traité de Cateau-Cambrésis. Philippe descend dans la tombe, vaincu, humilié, déçu dans tous ses desseins. Il a cru ne blesser que les autres, et c’est lui-même qu’il a blessé, sans parler de l’Espagne, dont il a fait son instrument, sa complice et sa victime. Voilà ce que produisent ces monstrueuses entreprises sur la conscience et la liberté des hommes ou de cette réunion d’hommes qui s’appelle une nation. La puissance matérielle y échoue, le sens moral s’y émousse et s’y dégrade, le caractère des acteurs s’y corrompt et s’y assombrit, sans y trouver heureusement la vraie grandeur.

Cette glorieuse et émouvante histoire des Pays-Bas a un autre mérite qui n’est pas à l’usage des dominateurs. Elle est une école virile pour les peuples que leur mauvaise fortune jette dans des épreuves semblables. Elle est faite pour les guérir des abattemens trop prompts aussi bien que des exaltations trop faciles, surtout des cuisantes et stériles amertumes de la défaite. Les peuples qui souffrent ne voient souvent que leur propre malheur et ne trouvent pas que le malheur supporté par d’autres soit une consolation. Il n’est pas une consolation ; mais quand on ne le sépare pas de ce qui le suit, il devient un généreux cordial. Certes, à ne considérer que les forces en présence et la situation du monde, la Hollande était destinée à périr. Deux ou trois fois, en 1568, au commencement de 1572, elle parut définitivement vaincue et pacifiée. Tout ce que le génie de la destruction peut imaginer se concentre dans cette histoire, qui a une sorte de monotonie d’horreur. Les victimes qui échappent au bûcher ou au gibet tombent sous le fer des soldats dans les villes saccagées. Les bannis sont sur tous les chemins de l’Europe ; d’aucun côté ne vient un secours, et ce n’est pas un mois, une année que dure la lutte ; elle se prolonge pendant quarante ans presque sans relâche et sans trêve. Et cependant la Hollande ne s’abandonne pas, elle se raidit contre les découragemens, elle se cuirasse contre toutes les atteintes, contre toutes les tentations, et elle tient ferme. Espérer quand tout sourit, quand tout concourt au succès, c’est trop facile. La vie des peuples qui souffrent se passe à espérer contre l’espérance, à rester forts contre la force, à faire de leurs malheurs mêmes le commencement et la justification anticipée de leur victoire.


CHARLES DE MAZADE.