s’échapper dans l’obscurité au moment où les Espagnols s’approchaient de sa tente. Ses serviteurs furent tués, ses secrétaires perdirent la vie en s’élançant pour le suivre ; six cents soldats périrent massacrés, beaucoup d’autres furent brûlés ou noyés dans la petite rivière qui longeait le camp. Guillaume ne pouvait plus secourir son frère ; il se retirait avec tristesse, le laissant seul aux prises avec l’armée du duc d’Albe.
Décidément les campagnes régulières n’étaient pas heureuses ; mais, tandis que ces invasions péniblement organisées échouaient périodiquement, comme pour montrer l’inanité d’une action toute militaire, de ces tentatives faites à coups de soldats étrangers, la révolution s’accomplissait d’elle-même, lentement, obscurément, mais avec une irrésistible force. Elle éclatait non dans les provinces wallonnes et flamandes sur lesquelles pesait de plus près la terrible dictature du duc d’Albe, mais en Zélande et en Hollande. Flessingue fut la première à s’ébranler, et à sa suite Enckuyzen, Oudenarde, Harlem, Leyde, Gorcum, Dort, Alkmaar ; les principales villes de la province d’Utrecht et de la Frise se levèrent presque à la fois. Le signal avait été la prise du petit port de Brill par ces terribles patriotes qui s’appelaient les gueux de mer. Par allusion au mot de Brill, qui en flamand voulait dire lunettes, on fit des caricatures où l’on représentait le chef des gueux prenant au gouverneur ses lunettes et lui disant ce qu’il avait l’habitude de répéter dans les momens les plus critiques : « Ce n’est rien, ce n’est rien ! » C’était beaucoup au contraire, c’était la conquête du berceau de l’indépendance hollandaise.
La révolution des Pays-Bas était à ce moment l’œuvre de trois forces qui n’en faisaient qu’une, l’esprit national et religieux, la patiente action de Guillaume d’Orange et l’audace irrésistible des gueux de mer. L’esprit national avait mis du temps à s’éveiller, il est vrai, ou du moins à s’échauffer jusqu’à éclater. Il avait résisté à tous les appels, et semblait être resté étourdi sous le poids de la compression. Il était loin cependant d’être aussi abattu et aussi impuissant qu’il le paraissait. Le système du duc d’Albe, au lieu de le désarmer par la terreur, l’avait lentement enflammé. Chaque coup était allé retentir douloureusement dans l’âme des populations. La persécution religieuse n’était pas même peut-être le stimulant le plus actif ; l’attaque organisée contre tous les intérêts par les confiscations, par les taxes ruineuses, avait exaspéré plus encore, et n’avait servi qu’à irriter, à généraliser l’esprit de résistance en faisant sentir de plus près la violence du joug, de telle sorte que c’était le développement même de la politique représentée par le duc d’Albe qui avait conduit les villes, la bourgeoisie, le peuple à