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se passait sur la terre pour prendre garde aux évolutions des corps célestes. » Il n’était pas si humble dans sa foi qu’il crût à la nécessité d’un prodige pour vaincre. Plus récemment il avait été employé en Italie à cette petite guerre ingrate et déplaisante contre le pape Paul IV, pendant que les brillans seigneurs flamands, d’Egmont en tête, couvraient les premiers jours du règne de Philippe II de l’éclat décevant et fatal à la France de Saint-Quentin et de Gravelines. Il avait cela sur le cœur. Il est vrai que d’un autre côté, surtout dans les derniers temps, on lui faisait la réputation d’être un stratégiste plus prudent que hardi, un tacticien habile à éviter le combat, et qu’un plaisant gentilhomme de la cour lui écrivait en lui donnant le titre ironique de « général des armées de sa majesté dans le duché de Milan en temps de paix et majordome de sa maison en temps de guerre. » Il était homme à dédaigner ces légèretés, comme aussi il était bien capable de les faire expier dans l’occasion à ceux qui se les permettaient. Il avait la vengeance terrible, et sa longue carrière en faisait un des conseillers les plus écoutés de Philippe II.

Sa physionomie est parlante. On le voit encore tel que le représentent les portraits qui sont restés de lui avec sa taille haute et raide, sa tête petite, sa figure longue, ses joues creusées, son teint pâle, ses yeux noirs et perçans, ses cheveux hérissés et sa barbe grise tombant en deux mèches sur sa poitrine. Sous cette enveloppe se cachait un homme dur, hautain, opiniâtre, froidement passionné, si l’on peut allier ces deux mots, tempérant, avare, ayant peu de vices aussi bien que peu de qualités, mais les poussant jusqu’au bout. Les troubles des Pays-Bas avaient allumé en lui une haine inextinguible contre ces seigneurs flamands dont il recommandait sans cesse de couper la tête, contre toute cette population des provinces qu’il acceptait d’aller gouverner en disant avec dédain : « J’ai fait plier des hommes de fer dans mon temps ; croit-on que je n’écraserai pas aisément ces gens de beurre ? » Tel était l’homme que Philippe II choisissait seul dans le secret de ses résolutions, et qu’il envoyait avec une autorité dont seul aussi il connaissait la limite.

Un trait frappant en effet, c’est le caractère mystérieux de ce pouvoir nouveau dans son origine, dans ses allures, dans sa manière de se produire. La duchesse de Parme elle-même, émue et offensée, demande au nouveau gouverneur ce qu’il est chargé de faire : il répond avec un diplomatique dédain « qu’il ne se le rappelle pas bien au juste, mais que le cours des événemens lui en rafraîchira le souvenir, et qu’alors il pourra le lui dire. » Pour le pays, ce pouvoir est une énigme bien plus redoutable encore. Il a réellement une vague ressemblance avec la foudre ; il a paru à peine