Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ger dans les Pays-Bas qu’en Angleterre même, où il était allé épouser la reine Marie Tudor. Avec lui, le système, habilement déguisé ou ajourné sous Charles-Quint, se dévoilait dans sa clarté redoutable, et ce système, c’était la guerre à tout élément national, — la guerre à l’esprit de liberté politique par la substitution de l’absolutisme royal à tous les droits locaux, la guerre à l’esprit de liberté religieuse par l’inquisition fortifiée et poussée au combat, par une exécution plus complète et plus rigoureuse des édits de 1550, par la création de trois archevêchés et de quinze évêchés nouveaux transformés en instrumens de persécution. C’était en un mot la lutte préparée et organisée. Le nouveau roi ne songeait pas à l’éviter ; il l’acceptait, non en guerrier, comme eût fait son père, mais en homme d’une nature cauteleuse et sombre, qui nouait patiemment tous les fils de sa vaste tentative avant de laisser éclater la foudre des répressions sans pitié.

Ce sont là en effet les deux phases de cette politique marchant pas à pas vers son but de domination, et elles sont merveilleusement représentées dans ces deux gouvernemens qui se succèdent, le gouvernement de Marguerite de Parme, j’allais dire le gouvernement de Granvelle, et la dictature du duc d’Albe. A l’époque de sa régence dans les Pays-Bas, Marguerite de Parme avait trente-sept ans. C’était une femme aux traits masculins, montant à cheval et chassant comme une fille de Marie de Bourgogne, ayant de violens accès de goutte comme son père, bonne catholique qui avait eu pour confesseur Loyola lui-même, rompue aux duplicités de la politique. Par sa naissance, — elle était fille naturelle de Charles-Quint et d’une demoiselle d’Oudenarde, — elle tenait aux Pays-Bas ; par ses deux mariages successifs avec Alexandre de Médicis, — celui qui mourut du coup de poignard de Lorenzaccio, — et avec le jeune Octave Farnèse, neveu du pape Paul III, elle tenait à l’Italie. Philippe l’avait choisie pour son origine flamande, qui pouvait en faire un instrument précieux dans sa docilité.

L’âme de ce gouvernement d’ailleurs, c’était Granvelle, le cardinal évêque d’Arras, homme adroit, remuant, ambitieux, instruit, d’une activité à écrire cinquante lettres par jour, assez habile pour flatter le roi en débrouillant ses pensées, pour s’imposer en paraissant obéir servilement, et en définitive ayant plus d’esprit d’intrigue et de dextérité que de consistance sérieuse. Ce fut lui qui fut chargé de cacher l’épée tendue et meurtrière sous les finesses de sa diplomatie. Granvelle est un des types de l’école absolutiste insinuante et modérée. Il voulait les mêmes choses que Philippe, mais il les voulait autrement, en louvoyant sans cesse, en rusant avec tous ces gentilshommes à l’humeur indépendante dont il rencontrait partout