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opinions humaines, leur influence sur l’éducation et les habitudes de l’esprit, leur domination sur les spéculations supérieures et dans les vues d’ensemble, bref leur force va croissant. Partant l’adversaire recule, et il ne peut pas, comme le paganisme du temps de Proclus et de Porphyre, se réfugier sous les interprétations, quitter la chose en gardant le nom, dire qu’il perce le symbole et pénètre jusqu’au sens, car la critique est née depuis un siècle, et aujourd’hui l’on sait trop bien le passé pour le confondre avec le présent ; quand Hegel ou tout autre conciliateur présente la philosophie du XIXe siècle comme l’héritière et l’interprète de la métaphysique du III, il intéresse des étudians, mais il fait rire des historiens. Donc le catholicisme sera obligé d’abandonner son bagage alexandrin, comme son bagage féodal ; il ne les jettera pas à la mer, car il est conservateur, mais il les laissera couler à fond de cale, je veux dire qu’il en parlera peu, qu’il cessera de les étaler, qu’il produira à la lumière d’autres parties de lui-même. C’est ce qu’a fait jadis ouvertement et ce que fait aujourd’hui insensiblement le protestantisme : il a dépouillé sous Luther la rouille barbare, et s’agite par l’exégèse moderne pour dépouiller la rouille byzantine ; après avoir dégagé le christianisme des rites, il le dégage des formules, et l’on peut affirmer que, même dans les pays catholiques, la plupart des gens du monde, orthodoxes des lèvres, mais au fond demi-ariens, demi-unitaires, un peu déistes, un peu sceptiques, assez négligens, théologiens plus que faibles, trouveraient, s’ils s’examinaient à fond, un notable intervalle entre leur catholicisme et les pratiques du moyen âge ou les entités de Sainte-Sophie et du Sérapion.

Ce sont là des forces mortes, c’est-à-dire constituées par la vitesse acquise, et qui n’agissent que par l’inertie naturelle de la matière humaine. Voici maintenant les forces vives, c’est-à-dire incessamment renouvelées par des impulsions nouvelles. En premier lieu, le catholicisme possède une église monarchique savamment organisée, la plus puissante machine administrative qui fut jamais, recrutée par en haut, subsistante par elle-même, soustraite à l’intervention des laïques, sorte de gendarmerie morale qui fonctionne à côté des gouvernemens pour maintenir l’obéissance et l’ordre. À ce titre, et comme en outre par son fonds il est ascétique, c’est-à-dire hostile au plaisir sensible, il peut être considéré comme un frein excellent contre l’esprit de révolte et les convoitises sensuelles. C’est pourquoi toute société menacée par une théorie comme le socialisme ou par des passions avides comme celles de la démocratie contemporaine, tout gouvernement absolu ou fortement centralisé le soutient pour s’appuyer sur lui. Plus le déclassement des hommes est universel et rapide, plus les appétits et les ambitions s’exaltent, plus le tourbillonnement par lequel les couches d’en bas tâchent de déplacer