incorporels, il sanctifie des objets palpables et des pratiques sensibles. Telle fut la religion au moyen âge ; elle subsiste encore presque intacte chez un pâtre de la Sabine, chez un paysan de la Bretagne. Un doigt de saint Yves, un froc de saint François, une statue de sainte Anne ou de la Madone dans ses habits neufs et brodés, voilà Dieu pour eux ; une neuvaine, un jeûne, un chapelet assidûment compté, une médaille soigneusement baisée, voilà pour eux la piété. À un degré supérieur, le saint local, la Vierge, les anges, la peur et l’espoir qu’ils excitent, composent la religion. Aux deux degrés, le prêtre est considéré comme un être supérieur, dépositaire de la volonté divine, dispensateur des grâces célestes. Tout cela dans les pays protestans a été détruit par la réforme de Luther, et dure atténué dans les pays catholiques, parmi les simples et les demi-simples, surtout chez les peuples qui ont l’imagination chaude et ne savent pas lire. Cette force va se réduisant à mesure que l’instruction et la culture d’esprit se propagent ; sur ce point, le catholicisme, pressé par la civilisation moderne, laisse s’écailler la croûte idolâtrique du moyen âge. En France par exemple, depuis le XVIIe siècle, cette portion des croyances et des pratiques tombe en désuétude, du moins dans la classe un peu éclairée. Sans doute il en reste encore, il en restera toujours quelque chose ; mais c’est une vieille enveloppe qui s’amincit, se troue et s’en va.
La seconde de ces forces est la possession d’une métaphysique complète, formulée et fixée. À ce titre, le catholicisme est en guerre ouverte, sinon avec les sciences expérimentales, du moins avec leur esprit, leur méthode et leur philosophie. Sans doute il peut tourner, transiger, tenir ferme sur des points particuliers, dire que Moïse a prévu la théorie de l’éther lumineux, puisqu’il fait naître la lumière avant le soleil, prétendre que les périodes géologiques sont à peu près indiquées dans les journées de la Genèse, choisir ses postes dans les terrains inexplorés, ardus ou embarrassés, comme la génération spontanée, les fonctions cérébrales ; le langage primordial, etc. Néanmoins il répugne invinciblement à la doctrine qui soumet toute affirmation au contrôle des expériences répétées et des analogies environnantes, qui pose en principe l’immuabilité des lois physiques et morales, qui réduit les entités à n’être que des signes commodes pour noter les faits généraux. En effet, il a conçu sa métaphysique à une époque d’exaltation et de subtilité extraordinaires, où de toutes parts les esprits, échafaudant triades sur triades, ne voyaient plus dans la nature qu’un marchepied obscur perdu sous les arcades superposées, resplendissantes, interminables, des êtres mystiques et surnaturels. — Cette hostilité constatée, il faut remarquer que les découvertes des sciences, leurs applications à la vie courante, leurs empiétemens dans les domaines inexplorés, leur ascendant sur les