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l’exégèse nouvelle, est versé dans l’histoire, goûte les spéculations supérieures, esprit généreux, conciliant et large, dont l’éloquence surchargée, poétique, entraînante, est celle d’un George Sand catholique. Ici le clergé n’est pas enrégimenté tout entier, comme en France ; c’est seulement chez nous que l’église subit par contagion la discipline administrative[1]. Certains ecclésiastiques ont en Italie des positions à demi indépendantes : celui-ci est dans son cloître comme un professeur d’Oxford dans son canonicat ; il peut voyager, lire, penser, imprimer à son aise. Son but est de mettre l’église d’accord avec la science. Son principe est que la science, étant simplement décomposante, n’est pas la seule voie, qu’il y en a une autre aussi sûre, l’atto sintetico, l’élan de toute la personne, la croyance et l’enthousiasme naturel par lequel l’âme, sans raisonnement ni analyse, découvre et comprend Dieu d’abord et ensuite le Christ. Cette foi généreuse et passionnée par laquelle nous embrassons la beauté, la bonté, la vérité, en elles-mêmes et dans leur source, est seule capable de réunir les hommes en une communauté fraternelle, de les pousser aux belles actions, au dévouement, au sacrifice. Or cette communauté est l’église catholique ; partant, tout en maintenant son évangile immuable, l’église doit s’accommoder aux variations de la société civile : elle le peut, puisqu’elle renferme en son sein « une variété inépuisable de formes. » Elle est sur le point de subir une de ces métamorphoses, mais elle restera, conformément à son essence, « la maîtresse de la morale. » Tout cela ne définit pas la métamorphose, et le père Tosti lui-même dit qu’elle est un secret entre les mains de Dieu[2].

Là dessus le comte N…, un fin et perçant esprit italien que je commence à beaucoup aimer et à bien connaître, m’a tiré à part dans un coin sombre et m’a dit : « Ces jeunes gens vont entrer dans la poésie, essayons d’en sortir. Mettons de côté pour un instant la sympathie, le patriotisme, la rancune ou les espérances ; considérons le catholicisme comme un fait, tâchons de compter les forces qui le soutiennent et de voir dans quel sens et dans quelles limites la civilisation moderne contre-pèse ou infléchit leur action. » Ainsi posée, la question est un problème de mécanique morale, et voici, ce nous semble, à quelles conjectures on aboutit sur ce terrain.

La première de ces forces est l’ascendant des rites. Le propre du sauvage, de l’enfant, de l’esprit tout à fait inculte, imaginatif ou grossier, c’est le besoin de se faire un fétiche, j’entends d’adorer le signe au lieu de la chose signifiée ; il proportionne sa religion à son intelligence, et, ne pouvant comprendre les idées nues ou les sentimens

  1. « Mon clergé est comme un régiment, il doit marcher, et il marche. » Discours du cardinal de Bonnechose au sénat, session de 1865.
  2. Protegomeni alla storia universale della Chiesa.