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conduire, s’abandonner comme un petit enfant ; sa raison et sa volonté ne sont plus en lui, mais dans un autre, délégué d’en haut pour cet office ; il a un directeur. En effet, c’est là le vrai nom du prêtre catholique, et c’est à cet emploi qu’à Rome le gouvernement vise et aboutit. À ce titre, il peut être indulgent, rendre de petits services, pardonner à la faiblesse des hommes, souffrir des attaches mondaines, tolérer des escapades ; il répugne à la violence, surtout à la violence ouverte ; il aime les paroles affectueuses, et les procédés indulgens ; il ne menace pas, il avertit et admoneste. Il étale au-dessus des pécheurs, comme un riche manteau ouaté, l’ampleur de ses périodes onctueuses : il parle volontiers de son cœur miséricordieux, de ses entrailles paternelles ; mais il est un point sur lequel il ne transige pas, la soumission de l’esprit et du cœur. Muni de cette obéissance, il sort du domaine théologique, entre dans la vie privée, décide des vocations, conduit les mariages, choisit les professions, ménage les avancemens, gouverne les testamens et le reste.

Par suite, en matières publiques, il a grand soin d’éviter aux gens la périlleuse tentation d’agir. À Rome par exemple, il nomme des conseillers municipaux qui complètent le conseil en s’en adjoignant d’autres ; mais ces nouveaux noms doivent être approuvés par lui, en sorte que tous les administrateurs siègent par son choix ; Il en est de même dans les autres services ; c’est un monsignor qui régit les hôpitaux, c’est un monsignor qui surveille les théâtres et allonge les jupes des danseuses. Quant à l’administration, on reste autant que l’on peut dans la vieille ornière ; l’économie politique est une science malsaine, moderne, trop attachée au bien-être du corps. On laisse ou l’on met l’impôt sur les matières visiblement fructueuses, sans s’inquiéter de l’appauvrissement invisible qu’on étend par contre-coup sur le pays[1]. Un cheval paie 5 pour 100 toutes les fois qu’il est vendu. Le bétail paie au pâturage, et en outre 28 francs par tête au marché, environ de 20 à 30 pour 100 de sa valeur ; le poisson paie 18 pour 100 sur le prix de vente ; le blé récolté dans l’agro romano paie à peu près 22 pour 100. Ajoutons que l’impôt foncier n’est pas léger ; je sais une fortune de 33,000 écus par an qui paie de 5 à 6,000 écus d’impôts. En outre on emprunte. Tout cela est dans la tradition des luoghi di monte et des finances des deux derniers siècles. Il s’agit de vivre, et l’on vit au jour le jour ; on tâche surtout de ne rien déranger à l’ordre établi ; les innovations font horreur à des gens vieux, alarmés par l’esprit moderne. Un de mes amis qui a voyagé au Mexique disait au pape : « Saint-père, soutenez le nouvel empereur,

  1. Marquis Pepoli. — Voyez aussi les mémoires du cardinal Consalvi.