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n’osera porter la main : il se réconciliera avec la propriété, le bien-être, l’action libre, dont au premier instant il n’a senti que les gênes sans en comprendre les avantages et la dignité. Déjà dans cette même Rornagne les ouvriers sont libéraux ; à Rome, en 1849, quantité de boutiquiers, de petits bourgeois allaient avec leur fusil aux fortifications et se battaient bravement. Que les paysans deviennent propriétaires, ils penseront de même. Les biens qu’on peut leur donner sont tout trouvés : avant les derniers événemens, le clergé séculier et régulier des états romains possédait 535 millions de biens-fonds, deux fois plus qu’à la fin du dernier siècle[1], deux fois plus qu’aujourd’hui le clergé de France ; le gouvernement italien les vendra comme il fait déjà dans le reste de l’Italie. Ce sera là le grand levier. Le paysan romain, comme le paysan français après 1789, s’emploiera à cultiver, amender, améliorer sa terre, à l’arrondir, à l’agrandir ; il économisera pour monter plus haut, il voudra faire de son fils un avocat, marier sa fille à un employé, devenir rentier ; il apprendra à compter, à lire ; il aura le code sur son buffet, il lira le journal, achètera des obligations, fera blanchir et réparer son taudis, y apportera quelques vieux meubles de la ville. Ouvrez un barrage, et tout de suite l’eau coulera ; rendez possible l’acquisition et le bien-être, et bien vite les gens voudront acquérir et jouir. Surtout n’oubliez pas le bagne pour les voleurs et l’échafaud pour les assassins ; sous la justice impartiale et stricte, l’homme comprend d’abord que le seul gain prudent est le gain honnête, et marche inoffensif, protégé, utile, dans le droit chemin, entre les barrières de la loi.

23 mars.

Je ne me charge pas de prévoir de si loin. La politique n’est pas mon fait, surtout la politique de l’avenir : c’est une science trop compliquée ; d’ailleurs, pour asseoir un jugement, il faudrait des études approfondies, une résidence bien plus longue. Ne parlons que de ce qui se voit, par exemple du gouvernement.

On ne parle que de cela. Je n’ai jamais causé avec un Italien sans que la conversation ne tournât tout de suite à la politique ; c’est leur passion : ils avouent eux-mêmes que, depuis cinquante ans, poésie, littérature, science, histoire, philosophie, religion, toutes les préoccupations et toutes les productions de leur esprit en subissent l’ascendant. Au fond d’une tragédie, d’une métaphysique, cherchez l’intention de l’auteur ; vous verrez qu’il n’a songé qu’à prêcher la république ou la monarchie, la fédération ou l’unité. Ils disent que l’occupation française a rendu le gouvernement pire que jamais.

  1. Le marquis Pepoli, Finances pontificales. En 1797, il n’avait que 217 millions.