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partir de grand matin pour la Ville de la Bénédiction (Caphar-Barucha) lieu où le patriarche Abraham, pour dernier acte d’hospitalité, avait conduit les messagers divins, qui pouvaient de là découvrir Sodome. Nos voyageurs arrivèrent au sommet du coteau quand le soleil était déjà levé. Un spectacle à la fois triste et magnifique frappa leurs regards. Ils dominaient de là le bassin de la Mer-Morte, et l’emplacement ou plutôt le tombeau des villes maudites, Sodome, Gomorrhe, Adama et Séboïm. A leurs pieds se dessinait Engaddi entouré de ses champs d’aromates, que Salomon appelait « un vignoble de baumiers. » Dans le lointain, vers le midi, et au-dessus de la périlleuse descente du Scorpion, ils apercevaient Ségor, que l’écriture compare à une génisse de trois ans, et, plus à l’ouest, les montagnes de Séir et leur désert peuplé par les fils d’Ismaël. Que de pensées assaillirent les pieux voyageurs durant leur longue halte au théâtre des vengeances de Dieu ! que de saintes réflexions sur cette justice patiente qui éclate, au moment venu, par des châtimens terribles, qui remplissent d’horreur jusqu’à la nature elle-même ! Montrant au loin, près de Ségor, la caverne où Loth, enivré par ses filles, avait donné naissance à la race incestueuse de Moab, Paula disait avec émotion à ses jeunes compagnes : « Voyez ce que peut produire l’intempérance : c’est du vin que sortent les crimes les plus affreux, n’en buvez pas ! »

Leur voyage dans l’ancien royaume de Juda était terminé ; ils reprirent la direction de Jérusalem par le bord de la Mer-Morte, Thécua, patrie du prophète Amos, et le torrent de Cédron, qu’ils remontèrent jusqu’à Jérusalem. Chemin faisant, ils se délassaient par des conversations d’où la gravité n’excluait pas toujours l’enjouement, et Paula, d’un caractère habituellement mélancolique, s’échappait parfois en saillies d’une douce gaîté. On lui proposait de visiter, près d’Hébron, une vieille ville située sur une montagne assez raide, et appelée en hébreu Cariath-Sépher, « la Ville-des-Lettres, » parce qu’elle avait été du temps des Chananéens le siège d’une sorte d’académie religieuse, et sous les Israélites une cité lévitique. Paula ne s’en souciait pas, soit qu’elle n’éprouvât aucun désir de curiosité, soit qu’elle craignît la fatigue. « La Ville-des-Lettres ! dit-elle en riant, nous n’en avons point besoin. On dédaigne la lettre qui tue, quand on a l’esprit qui vivifie. » Jérôme mêlait plus d’amertume à ses plaisanteries. Lui qui avait tant souffert des persécutions du clergé romain, et qui s’élevait naguère avec tant d’énergie contre l’intempérance des prêtres et la gloutonnerie des moines, ne s’épargnait guère les allusions satiriques quand l’occasion s’en présentait. Passant un jour avec sa petite troupe d’amis dans la ville de Bethphagé, un des grands sièges du