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les bêtes, sont autour des colonnes. Ce sont là les héritiers de Raphaël, de Michel-Ange, de Bembo, de la cour joyeuse, guerrière, lettrée, qui venait le soir entretenir le vaillant pape. — A gauche, un grand escalier sans marches, sorte de rampe qu’il pouvait monter à cheval, développe sa profondeur et les belles courbes de ses voûtes. Arrivés au sommet, nous forçons une sorte de loquet, et nous trouvons une loggia ; c’est là qu’après souper il venait converser, prendre le frais, en face de la campagne largement étalée sous ses regards. Des colonnes la portent, on distingue au plafond les restes des caissons ouvragés où se mêlaient et se déployaient les corps vivans des figurines ; un vaste balcon prolonge le promenoir et apporte plus amplement l’air du dehors à la poitrine. Rien de plus grandement entendu, de mieux approprié au climat, de plus propre à contenter des sens d’artiste ; c’est ici qu’il fallait venir pour discuter des projets d’édifices ou retoucher des agencemens de figures. On lui montrait des esquisses, on crayonnait devant lui ; un pareil homme, si violent et si fier, était fait pour comprendre de pareilles âmes. Maintenant il reste une sorte de grenier ; les ferrures du balcon sont à demi descellées, les caissons sont tombés, les piliers de la cour ont perdu leur stuc, et montrent leur cailloutis entamé de briqueterie rouge ; seules, les colonnes de la loggia allongent encore leurs beaux fûts de marbre blanc. Deux ou trois peintres viennent au printemps se nicher dans cette ruine.

La poussière tourbillonne, et le soleil chauffe péniblement la coupole grise des nuages ; le ciel semble d’étain ; le sirocco, énervant, fiévreux, souffle par rafales. Le Ponte-Molle apparaît entre ses quatre statues ; derrière est une pauvre auberge, et aussitôt après commence le désert. Rien d’étrange comme ces quatre statues lézardées, qui se profilent sur le grand vide morne et font l’entrée du tombeau d’un peuple. Des deux côtés, le Tibre se traîne et tournoie, jaunâtre et visqueux comme un serpent malade. Pas un arbre sur ses bords, plus de maisons, plus de cultures. De loin en loin, on découvre un môle de briques, un débris branlant sous sa chevelure de plantes, et sur une pente, dans un creux, un troupeau silencieux, des buffles aux longues cornes qui ruminent. Des arbustes, de mauvaises plantes rabougries s’abritent dans les enfoncemens des collines, les fenouils suspendent au flanc des escarpemens leur panache de délicate verdure ; mais nulle part on ne voit d’arbre véritable, c’est là le trait lugubre. Des lits de torrens sillonnent de leurs blancheurs blafardes le vert uniforme ; les eaux inutiles s’y tordent à demi engravées, ou dorment en flaques, parmi les herbes pourries.

À perte de vue, de toutes parts, la solitude ondule en collines