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ne parvint pas à confondre ou, pour mieux dire, à annuler les existences finies dans le sein et la nature de l’infini. Dans les matières de droit naturel, il admet que tendre vers Dieu, c’est-à-dire vers le bonheur, est la raison de l’existence. Dès lors le bien moral n’est autre chose que le lien de la volonté, humaine avec la volonté divine ; en d’autres termes, il consiste dans la religion, qui est naturelle, si l’on considère Dieu comme auteur de la nature, et surnaturelle, si l’on voit en lui l’auteur de la grâce. C’est cette inconséquence qui fait toute l’originalité du livre de Miceli sur le droit naturel. Quand il parle des devoirs de l’homme envers lui-même, envers ses semblables et envers Dieu, il ne fait guère que reproduire les préceptes des philosophes antérieurs.

Il ne saurait donc occuper un rang bien élevé parmi ceux dont s’honore la pensée moderne. Sans compter qu’il ne reste catholique et humain qu’au prix d’une infidélité manifeste à ses opinions les plus chères, dans les matières philosophiques il marche toujours derrière quelqu’un : disciple de Bruno pour l’ontologie, de Leibnitz dans la théorie de la monade, de Spinoza en fait de méthode, il aurait besoin d’être un écrivain de premier ordre pour faire oublier ce manque absolu d’originalité. Or, s’il pouvait à cet égard briller même au second rang, il est probable que les détenteurs de ses manuscrits eussent surmonté leurs scrupules et communiqué ces ouvrages inédits au public ; il est certain du moins que M. di Giovanni, qui les a lus avec soin, n’aurait pas manqué de louer l’art d’écrire dans l’auteur dont il a pris à cœur la renommée. Miceli est donc surtout un maître savant et doux, qui a eu sur ses disciples une action réelle, forte, durable, par l’autorité de sa parole et la gravité de son caractère ; M. di Giovanni, sans s’en apercevoir, assigne au penseur et au philosophe une place assez modeste en le déclarant l’égal de Gerdil et de Genovesi.

Les dialogues dans lesquels sont exposées ou résumées les doctrines de Miceli offrent une lecture agréable et facile. Le dessein d’imiter la forme antique est manifeste dans le début même de chaque entretien. A l’exemple des personnages de Platon et de Cicéron, Miceli et ses disciples commencent par des discours où éclate un sincère enthousiasme pour les beautés de la nature et des arts en Sicile. On aura beau en rabattre, c’est par cet amour profond, exagéré même, de leur pays que les Italiens se montrent surtout dignes des hautes destinées que semble leur réserver l’avenir.


P.-T. PERBENS.


V. DE MARS.