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avait été celui de la philosophie cartésienne. A Palerme Vincenzo Flores, à Catane Lionardo Gambino, à Cefalù Simone Judica répandirent les principes de Leibnitz, tandis qu’Agostino de Cosmi les propageait dans les villes de l’intérieur. Tous ces philosophes, fort renommés de leur temps, furent cependant effacés par Miceli, non-seulement à cause de son talent, mais aussi parce qu’il donnait l’exemple, après avoir renversé l’édifice de la science, de le reconstruire à nouveaux frais et de ses propres mains. Toutefois, il faut l’avouer, les matériaux de cette reconstruction n’avaient pas été extraits par Miceli d’une mine nouvelle, ni même taillés par lui : M. di Giovanni reconnaît que ce prêtre si calme, si régulier dans sa vie, si orthodoxe dans ses croyances ou du moins dans ses volontés, a la même ontologie que l’aventureux Giordano Bruno. Or qu’enseigne ce hardi penseur, si habile à revêtir les idées les plus abstraites des formes les plus poétiques ? Sur cette terre d’Italie où s’étaient acclimatées les doctrines les plus diverses, celle de Pythagore dans l’antiquité, celle d’Aristote au moyen âge, celle de Platon et de ses disciples d’Alexandrie du XIVe au XVIe siècle, Giordano Bruno soutient le panthéisme d’Elée en le revêtant de formes néoplatoniciennes ; il combat sans relâche l’école, l’église, le christianisme, dont il attaque même les fondemens. Pour Bruno, le monde est un animal immense, infini, le ciel est partout, c’est le cercle de Pascal. Il n’y a jamais aucune interruption dans l’être, tout est bon en soi, la mort n’est et ne peut être qu’une transformation, une apparence, une relation des parties, puisque le tout est parfait.

À ces idées, qui conduisirent l’infortuné Bruno au bûcher, comparons celles de Miceli. Suivant lui, hors de la trinité de l’être vivant, qui est toute-puissance, sagesse et charité, il n’y a rien, car tout est en elle. L’être unique est dans une continuelle action qui se termine par des manifestations extérieures et toujours nouvelles de la toute-puissance. C’est comme l’habit dont Dieu se recouvre ; les âmes sont « les modes de la connaissance expérimentale de la sagesse, » tout en soi est bon, le péché est relatif à l’ordre établi. La trinité de Miceli est, dit M. di Giovanni, une reproduction de celle qu’avaient imaginée Plotin et Proclus. Quand Miceli représente par une roue l’être vivant et agissant, ne rappelle-t-il pas encore Giordano Bruno, pour qui la naissance était une expansion du centre, la vie la durée de cette expansion, et la mort le retour des rayons au foyer ? Miceli est optimiste quand il parle du monde, Bruno l’était aussi quand il disait que l’être a la capacité de toutes les formes qui peu à peu deviennent visibles dans le monde. La différence entre ces deux philosophes, c’est que le dieu de Bruno ne peut exister sans le monde, n’est sans le monde qu’une abstraction, tandis que le dieu de Miceli existe indépendamment du monde, qui n’est plus pour lui qu’un amusement et, répétons-le, qu’un vêtement qu’il prend et reprend à son gré, en sorte qu’il est et reste un Dieu personnel, libre, parfait en soi.